Pour illustrer la revue de presse de ce mois-ci, le pavage du plan apériodique construit à partir d’une unique brique élémentaire. Cette découverte récente est due à Craig Kaplan et son équipe. Pour la Science en parle, et leur prépublication est en accès libre sur arXiv. La rubrique Recherche reviendra plus en détail sur cette découverte. Au reste du programme, notamment deux récompenses prestigieuses qui ont fait parler d’elles (au moins dans la presse scientifique), des chercheur·se·s également inquiets pour leurs retraites et la semaine des mathématiques.
A la une
À une semaine d’intervalle en mars, nous célébrons chaque année deux événements majeurs : l’arrivée du printemps (le 20 1et non pas le 21 comme nous a fait remarquer un lecteur [voir ici] : l’équinoxe de printemps un 21 mars n’a lieu que deux fois au XXIe siècle (2003 et 2007). ) et le Pi-day (jour de Pi, le 14). La justification derrière ce deuxième événement est simple : le développement décimal du plus connu des nombres commence par 3,14. Mais est-ce réellement un nombre ? Dans cet exposé, le mathématicien Doron Zeilberger nous rappelle que Pi n’est pas un nombre au sens des grecs (qui l’ont pourtant découvert). Dans le langage mathématique moderne, on dit que Pi est transcendant !
Recherche
Assistant de preuve
« Mathématiques assistées par ordinateur : le futur de la recherche ? » Ce titre d’un article du journal suisse Le Temps🔒 a de quoi surprendre. En effet, les assistants de preuve ne sont pas vraiment une nouveauté pour les mathématiciens, qui les utilisent et les perfectionnent depuis une quarantaine d’années. Rappelons par exemple que le programme Coq (page en anglais) avait permis notamment à Georges Gonthier et Benjamin Werner d’obtenir une vérification complète de la preuve du théorème des quatre couleurs, qui exigeait initialement plus de 1200 heures de calcul sur ordinateur. La nouveauté, aujourd’hui, c’est le recours aux données massives et à l’intelligence artificielle, qui permet d’aller beaucoup plus loin.
Comme l’article du Temps est réservé aux abonnées, nous n’avons pas pu lever le doute suscité par le titre. Mais il y est question d’une intervention de Kevin Buzzard au dernier Congrès International de Mathématiques, et la visite de la page web de ce chercheur s’avère très intéressante.
Progression arithmétique
Pouvez-vous trouver 10 nombres entiers compris entre 1 et 1 million et parmi lesquels il n’est pas possible d’en trouver trois qui soient en progression arithmétique (c’est à dire trois nombres a, b et c tels que a<b<c et c–b=b–a) ? Oui, vous pouvez, et ce n’est pas bien difficile : 1, 3, 7, 14, 28, 61, 62, 100, 1000, 6000. Pouvez-vous trouver 100 nombres entiers ayant la même propriété ? Oui. Pouvez-vous en trouver 1000 ? Oui. Pouvez-vous en trouver 1 million ? Non ! Quelle est donc la taille maximum d’un ensemble d’entiers compris entre 1 et 1 million dans lequel il ne soit pas possible de trouver trois nombres en progression arithmétique ? Cette question est à l’origine de la conjecture d’Erdös-Turán, démontrée en 1975 par Endre Szemerédi. De nombreux travaux ont été consacrés à la recherche d’une estimation de la taille maximum d’un ensemble d’entiers compris entre 1 et un entier N fixé dans lequel il ne soit pas possible de trouver trois nombres en progression arithmétique.
Le meilleur résultat connu jusqu’à ces dernières semaines était celui de Thomas Bloom et Olof Sisask, obtenu en 2020. Et l’opinion générale était qu’il serait très difficile de l’améliorer. Pourtant, à la stupéfaction des spécialistes de combinatoire, deux jeunes chercheurs en informatique, Zander Kelley et Raghu Meka, viennent de pulvériser ce record, obtenant une borne nettement plus petite pour la taille d’un tel ensemble. Dans un article en anglais, Quanta Magazine nous donne des explications à ce sujet.
Des configurations inévitables
Imaginez que, dans le plan euclidien, on attribue à chaque point soit la couleur noire soit la couleur blanche. Sera-t-il toujours possible de trouver un triangle équilatéral dont les trois sommets soient de la même couleur ? Notre revue de presse laisse ce petit exercice à la sagacité de ses fidèles lecteurs. Prenons maintenant une palette de couleurs qui ne se réduise pas au noir et au blanc, mais qui soit une palette banale (nous voulons dire par là que les couleurs y sont en nombre fini : les palettes infinies sont plus rares, et donc trop chères pour nous). Colorions maintenant arbitrairement les nombres entiers naturels à l’aide de cette palette. Chaque entier est ainsi doté d’une des couleurs. Eh bien il sera toujours possible de trouver deux entiers m et n tels que m, n et m+n soient tous les trois de la même couleur. Ce théorème a été démontré en 1916 par le mathématicien allemand Issaï Schur, connu notamment pour le lemme de Shur, résultat classique en théorie des représentations des groupes finis.
Bien d’autres développements en lien avec ce sujet avaient été donnés par Shalom Eliahou dans un article d’Images des maths. Ce qui est sous-jacent dans les deux questions que nous venons d’aborder, c’est l’impossibilité d’éviter certaines configurations dans des ensembles constitués aléatoirement. Et il y a un domaine des mathématiques où ce genre de question joue un grand rôle : c’est la théorie de Ramsey (qui intervient par ailleurs de façon importante en théorie des ensembles). Le théorème de Schur a inspiré de nombreux travaux au cours du siècle qui a suivi. On s’est par exemple longtemps demandé, en vain, si, étant donné un coloriage fini quelconque des nombres entiers, il était toujours possible de trouver deux entiers m et n tels que m, n, m+n et m×nsoient tous les quatre de la même couleur (c’était une conjecture formulée dans les années 1970 par Neil Hindman). Et tout récemment, Matt Bowen et Marcin Sabok ont prouvé que, étant donné un coloriage fini quelconque des nombres rationnels, il est toujours possible de trouver deux rationnels x et y tels que x, y, x+y et x×y soient tous les quatre de la même couleur. Ce résultat a été accueilli avec enthousiasme nous dit encore (et encore en anglais) Quanta Magazine.
Formes modulaires
C’est encore dans Quanta Magazine et en anglais que l’on trouve un article consacré à des travaux en théorie des nombres, à propos de ce que l’on appelle les formes modulaires(voir ici un exposé plus détaillé). Y est proposée une rétrospective de résultats qui se sont succédé depuis une soixantaine d’années pour culminer fin 2022 avec la preuve spectaculaire d’une conjecture formulée au début de cette période. Un exploit réalisé par une chercheuse, Yunqing Tang (University of California, Berkeley) et deux de ses collègues, Frank Calegari (University of Chicago) et Vesselin Dimitrov (Institute for Advanced Study, Princeton).
Pavages apériodiques
Dans la pratique, les pavages du plan sont souvent périodiques, c’est-à-dire engendrés par la reproduction itérée d’un motif de base (appelé « tuile »). Mais il y en a aussi, bien sûr, qui sont au contraire apériodiques. Plus surprenant peut-être, il a été prouvé dans les années 1960 qu’il existait des pavages apériodiques qui n’utilisaient qu’un nombre fini de formes élémentaires. Roger Penrose a beaucoup œuvré à cela, en multipliant les exemples utilisant un petit nombre de tuiles. Les pavages de Penrose ont été utilisés comme modèles de la structure des quasi-cristaux. On peut d’ailleurs maintenant voir, dans une gare routière de San Francisco, Transbay Transit Center, un pavage apériodique qui utilise deux tuiles qui ne se répètent pas de façon régulière. Mais on ignorait jusqu’ici s’il était possible d’obtenir un pavage apériodique à partir d’une unique tuile. Pour la Science nous apprend que Craig Kaplan vient de déclarer avoir apporté avec ses collègues une réponse positive à cette question, contredisant l’intuition dominante. Kaplan est professeur dans un département d’informatique à l’université de Waterloo, au Canada. Il s’intéresse aux interactions entre art et mathématiques. Son équipe a construit un motif en assemblant huit cerfs-volants de Penrose. Le pavage a ensuite été réalisé en prenant cet assemblage de tuiles comme motif élémentaire (ou « métatuile »).
Si ce sont les petits cerfs-volants qui sont pris comme tuiles de base, le pavage est périodique. Mais si on les oublie et si on regarde le pavage comme engendré par les métatuiles résultant chacune de l’assemblage de huit cerfs-volants, alors il n’y a plus de périodicité. Les auteurs ont donné deux preuves de cette assertion, dont l’une fait appel à un assistant de preuve. Ils ont par ailleurs prouvé que leur métatuile permet bien de paver le plan. On peut cependant mettre deux bémols : d’abord l’article exposant ce résultat est encore à l’état de pré-publication (il n’ a pas encore été vérifié par des experts) ; ensuite certains considèrent qu’on ne peut pas parler de pavage lorsque l’on fait opérer sur les tuiles à la fois des isométries directes (translations et rotations) et des isométries indirectes (symétries axiales) ? Or dans le cas présent ces dernières sont indispensables. Le sujet est donc loin d’être épuisé. Il n’en reste pas moins que le travail de Kaplan et ses collègues a été accueilli dans la communauté mathématique comme un événement important.
Vie de la recherche
Azat Miftakhov
Le mathématicien russe Azat Miftakhov a fêté ses trente ans dans les geôles de Poutine le 21 mars dernier, l’occasion pour de nombreux·e·s mathématicien·ne·s de lui présenter publiquement leur vœux et de rappeler à la communauté mathématique internationale la répression féroce dont ce dernier est la victime.
L’histoire d’Azat Miftakhov, détenu depuis le mois de février 2019 pour des faits supposés de vandalisme, a été plusieurs fois relayée dans les revues de presse d’Images de Maths (en févier 2022, en avril 2022 et en janvier 2023). Une libération potentielle se profilait pour le 23 septembre prochain, mais les autorités en place ne semblent pas l’entendre de cette manière. Le premier mars dernier, un communiqué de la SMF relayait ainsi les craintes (désormais avérées) du comité Azat Miftakhov de nouvelles accusations formulées par le FSB pour prolonger sa détention. Un article de Mediapart🔒 disponible en libre accès sur le site web du Comité Azat Miftakhov (avec l’accord de la rédaction) revient sur son histoire et explique, au sujet de ces nouvelles accusations, que « le FSB monte un dossier pour faire de lui un terroriste, en obtenant de faux aveux de pseudo-témoins sous la torture. Deux anarchistes nous racontent à cette occasion comment la machine étatique russe écrase tout. » Et l’auteur de conclure : « cette affaire effroyable et irrationnelle apparaît comme l’allégorie de la course à l’abîme des autorités russes, totalement perdues pour l’intelligence.[…] Le mathématicien anarchiste, comme l’Ukraine décrétée nazie, doivent payer de leur vie leur crime inexistant, qu’un pouvoir insensé s’applique à rendre tangible. »
Il y aurait eu plein de manières de poursuivre cette rubrique. Il eut par exemple été possible de filer la métaphore de la pelote de laine tant les questions récurrentes et les problèmes agrégés par la situation de la recherche sont intriqués, avec un clin d’œil plus ou moins subtil à la théorie des nœuds puisqu’après tout il s’agit d’un site qui parle de mathématiques. Mais l’actualité prête peu à sourire ce mois-ci, et les quelques initiatives présentées ici (et qui ont le mérite d’exister !) ressemblent parfois davantage à des pansements qu’à un traitement de fond.
La question du harcèlement moral
Dans une tribune publiée dans Le Monde🔒, deux membres du Conseil français de l’intégrité scientifique au Hcéres, Michèle Leduc (physicienne, directrice de recherche émérite au CNRS) et Zoë Hammat (avocate spécialisée dans les questions d’intégrité en recherche), s’inquiètent du harcèlement moral dans les laboratoires et militent pour une vraie prise en compte de ces questions. Les autrices tentent ici de convaincre un public large en jouant sur une palette d’arguments qui peut interroger de prime abord. Ainsi, la vision très utilitariste proposée en introduction : « la bonne prise en compte [d’un tel comportement] est une condition nécessaire à la progression sereine et intègre de la recherche », est nettement contrebalancée par une conclusion qui ne laisse aucun doute sur l’enjeu premier : « il y va du bien-être et de la santé mentale des travailleur·se·s de la recherche ». La tribune dresse un portrait sans concessions des formes insidieuses que peut prendre le harcèlement moral, et les autrices ne dédouanent ni leurs collègues ni les différentes instances lorsqu’il s’agit de lister les obstacles potentiels à sa dénonciation. Toutefois, la liste de propositions pour lutter contre ce phénomène : « s’assurer qu’un volet consacré au harcèlement […] est bien inclus pour les doctorante·s dans leur formation à l’éthique et à l’intégrité scientifique […] ; inscrire la prévention du harcèlement moral dans un texte à paraître […] ; faire une analyse des procédures en vigueur pour gérer le harcèlement moral dans l’ensemble des établissements de recherche et mettre systématiquement en place des cellules d’écoute et de veille facilement accessibles et permettant un signalement anonyme […] ; sensibiliser les responsables politiques à la précarité et aux violences faites aux jeunes chercheurs et chercheuses », apparaît bien légère (il n’est en particulier nulle part question de former les chercheur·euse·s en poste à de meilleures pratiques) et amputée des questions politiques, sans doute moins consensuelles.
Et en particulier celle du harcèlement sexuel
La tribune susmentionnée avait pris le parti de ne pas considérer la question du harcèlement sexuel parmi les faits de harcèlement moral étudiés, tout en soulignant que ces formes de harcèlement ont tendance à coexister. Un article du Monde🔒 revient sur cette question, en prenant comme point de départ un sondage international Ipsos pour la Fondation L’Oréal. L’étude a été menée auprès de 5184 chercheuses et chercheurs dans 117 pays et les conclusions sont accablantes « 49% des femmes scientifiques [interrogées] révèlent avoir été confrontées à au moins une situation de harcèlement sexuel au cours de leur carrière » (pour les chercheuses interrogées en France, le chiffre s’élève à 33%). Et l’étude de répondre immédiatement à celles et ceux qui pourraient penser que cela relève de vieilles coutumes qui n’ont plus court : « pour près de la moitié des femmes scientifiques qui ont été victimes de harcèlement sexuel (47 %), cela s’est produit dans les 5 dernières années, soit après l’émergence du mouvement #MeToo ; pour près d’un quart des victimes (24 %), cela s’est produit dans les deux dernières années. » Ces chiffres peuvent être mis en relation avec ceux du rapport annuel du Haut Conseil à l’Égalité sur l’état du sexisme en France dont il était question dans la dernière revue de presse : par peur du harcèlement sexuel, 18 % des femmes ont déjà redouté voire renoncé à s’orienter dans les filières/ métiers scientifiques ou toute autre filière / métier majoritairement composé d’hommes. « Un taux qui s’élève à 22 % pour les 25-34 ans. » Des initiatives individuelles ou associatives existent à différents niveaux pour tenter de répondre à ce problème : l’association Femmes et Mathématiques cherche notamment à promouvoir les mathématiques et les carrières mathématiques auprès des jeunes filles par diverses actions. Sa présidente, Anne Boyé était conférencière invitée du CaFéministe, une association croisicaise, ce premier mars, l’occasion pour Ouest France🔒 de lui donner la parole. Par ailleurs, l’université Paris-Sciences-Lettres a décidé il y a un an de mettre en place un programme de mentorat pour les doctorantes de l’université afin d’« encourager des doctorantes de PSL dans le développement de leurs carrières et [de] réduire les inégalités. » Pour ce premier anniversaire, le site de l’université publie l’interview de deux membres du comité de pilotage. Là encore il y est seulement question de défis individuels pour les femmes mentorées, sans que jamais la question d’une approche systémique ne soit soulevée.
L’étude Ipsos revient également sur l’attitude des témoins de tels faits, ainsi, 20% des hommes interrogés répondent à la question « pourquoi n’avoir pas alerté ? » en estimant « qu’il n’y avait pas besoin d’intervenir, la situation n’avait pas l’air si grave » ou que « la personne visée n’avait pas l’air bouleversée ». L’article du Monde conclut ainsi « Dimanche 4 mars, un collectif de scientifiques a signé une lettre ouverte titrée « Des silences qui nous écœurent » et diffusé sur les réseaux sociaux, dans laquelle il dénonce : “burn-out, sortie en pleurs d’une réunion, harcèlement moral entre collègues, allant des blagues sexistes jusqu’à l’abus de pouvoir et même aux menaces physiques…” ».
La peur des représailles est également évoquée par 39% des témoins de situation de sexisme interrogés dans la précédente étude, pour expliquer leur silence. Une peur de représailles d’autant plus forte que le témoin (ou la victime qui souhaiterait parler) est précaire d’après la tribune de Michèle Leduc et Zoë Hammat. Mais s’il fallait encore argumenter pour expliquer pourquoi la précarité des jeunes chercheurs et chercheuses pose a minima de nombreuses questions, que d’aucun·e pourrait commencer à qualifier de « problèmes », le Monde🔒 offre une tribune à Rima-Maria Rahal, directrice de recherche à l’Institut Max-Planck, pour expliquer « comment les conditions d’emploi et de recrutement des scientifiques nuisent à la qualité de leurs travaux ». Il y est question de course à la publication, de l’importance du temps long en recherche et de rapports d’influence : « la route vers le Graal d’un contrat permanent est compliquée et la recherche de qualité n’est pas récompensée comme elle le devrait. Par conséquent, la liberté académique est en danger. Lorsque les chercheurs ne peuvent pas poursuivre leurs travaux sans avoir à craindre pour leur carrière, la manière dont la recherche est menée en est radicalement affectée […] la dépendance à l’égard des publications, des subventions et des bonnes grâces des personnes en position d’influence place chaque chercheur·euse face à un système de pression qui va à l’encontre des principes des bonnes pratiques ». Augmenter la proportion de postes permanents l’emploi serait un premier pas vers une recherche plus qualitative d’après l’autrice qui renvoie à un texte publié dans Nature Human Behaviour🔒, et contesté par certain·e·s de ses pair·e·s pour réfléchir aux changements à apporter pour favoriser une « bonne recherche ». Cette question d’une recherche aussi qualitative que possible est d’ailleurs également posée dans un article de Slate, sous l’angle du consensus scientifique. L’article revient sur les enjeux d’accès du grand public à une information scientifique de qualité qui rende compte des débats internes et des zones d’ombre de la recherche et respecte le temps scientifique (que la communauté des chercheurs et chercheuses aura également respecté, sans céder aux enjeux extérieurs de rapidité).
Les chercheur·euse·s inquiets aussi pour leurs retraites
Enfin, et de manière peut-être plus surprenante pour certain·e·s la précarité des chercheur·euse·s s’invite à la table des négociations (ou plutôt de leur absence) de la réforme des retraites. Le Monde publie ainsi une tribune🔒 rédigée par un collectif d’une centaine de chercheur·euse·s et qui demande la prise en compte « “des années blanches” de milliers de jeunes scientifiques ». Le constat est simple : l’allongement de la durée de cotisation va pénaliser les chercheur·euse·s du fait des spécificités propres des débuts de carrières dans la profession. Qu’il s’agisse de thèses ou de séjours postdoctoraux financés par des bourses ou par d’autres pays (du fait de l’exigence de mobilité internationale), nombreuses sont les raisons qui justifient que la présence de semestres non cotisés soit monnaie courante dans les relevés de carrière des scientifiques. La tribune explique alors que « toutes ces situations se traduisent par des déficits de droits qui pèsent lourdement dans le calcul de la pension de retraite de ces scientifiques, et en particulier des femmes. On parle ici de déficits variant d’un à dix ans sur des carrières débutant par une thèse à l’âge de 24 ans environ.[…] Même en partant à 67 ans, c’est aussi l’impossibilité pour beaucoup d’avoir une retraite pleine, du fait de la proratisation de la pension au nombre d’annuités validées, tout en ayant travaillé 43 annuités à temps plein. » Une situation qui ne risque pas d’aller en s’améliorant avec l’augmentation du nombre d’années postdoctorales dans les carrières du fait d’une tendance générale à la raréfaction des postes permanents. Cette rubrique comme le mois de mars s’achève ainsi sur la question de l’emploi permanent dans le monde de la recherche puisque le 30 mars marque aussi la fin de la session synchronisée pour les recrutements des maître·sse·s de conférence et professeur·e·s des universités.
Applications
Entre théorie et application
« Le fait qu’on soit en train de parler de relation entre mathématiques pures et appliquées, c’est un peu malheureux. Cela voudrait dire qu’elles sont deux entités distinctes », regrette Lek-Heng Lim, professeur à l’Université de Chicago dans une interview à Quanta. Lui qui se sert d’outils des mathématiques pour notamment s’attaquer à des problèmes en intelligence artificielle estime que les frontières entre ces deux facettes des mathématiques sont plus poreuses qu’on ne le pense. Il explique notamment comment une notion de topologie (l’homologie persistante) a joué un rôle majeur en 2020 lorsqu’il travaillait sur la reconnaissance d’objets par des réseaux de neurones.
Pour rester dans cette thématique de l’intelligence artificielle, Cédric Villani était l’invité de FranceInter aux côtés de la chercheuse en IA Isabelle Ryl et de Cécile Badoual, cheffe de service en anatomo-pathologie, pour discuter de l’impact de l’intelligence artificielle, ses espoirs et risques. Pour le mathématicien : « L’IA, ce n’est pas de l’intelligence. Ça s’apparente plus à de la statistique ». Il souligne qu’il ne faut pas voir ces outils comme des remplaçants de l’humain, mais comme une aide pour certaines tâches.
Pour Quanta Magazine, ce sont plutôt les capacités imprévues des grands modèles d’intelligence artificielle (IA) qui suscitent l’intérêt. Les chercheurs en informatique testent les limites de ces modèles et en sont parfois surpris, à l’instar de cet ingénieur de DeepMind qui a réussi à faire croire à ChatGPT qu’il était un terminal Linux et a réussi à coder quelques lignes dessus (notamment pour lui faire retrouver les 10 premiers nombres premiers). Fait notable : le temps de calcul de ChatGPT « jouant » à l’interface Linux est comparable à celui d’une vraie interface.
Conclusion pétillante
C’est une question pétillante qui oppose deux équipes de mécaniques des fluides : pourquoi les bulles d’un liquide ne remontent pas en ligne droite ? Comme le relève Le Monde🔒, si elles sont arrivées à une taille critique (au-delà de 1,8 millimètre leur remontée est tortueuse), les modèles et simulations numériques divergent sur l’explication de ce phénomène. « Quand sabreront-ils le champagne ? » s’amuse pour conclure le journaliste David Larousserie.
Clôturons cette rubrique avec cette note de Lek-Heng Lim : « Certains veulent résoudre de grandes conjectures, moi je suis simplement content de satisfaire ma curiosité ». Il le reconnaît avec joie, les mathématiques appliquées lui permettent cette liberté de découverte de nombreux domaines des sciences.
Enseignement
Ce mois-ci, les lycéens et lycéennes se sont confronté·e·s au premières épreuves du baccalauréat. Comme le rapportent Le Parisien, Le Figaro et L’Étudiant, ce sont les élèves de Polynésie et des lycées français à l’étranger qui ont ouvert le bal. Puis est venu le tour des lycéen·ne·s de métropole et des DOM-TOM, en fin de mois. Les sujets et le corrigé en vidéo proposé par le professeur à Gennevilliers Mehdi Lazaa, sont à retrouver sur le site de L’Etudiant.
La Cour des comptes a publié ce mois-ci un rapport sur le recrutement des enseignant·e·s pointant notamment une difficulté croissante pour recruter dans certaines disciplines et sur certains territoires. On pourra aussi consulter l’avis sur la formation initiale et le recrutement des enseignants du premier et second degré du conseil supérieur des programmes.
Les sites internet Slate et The conversation ont tous les deux consacré ce mois-ci un article à l’orientation des lycéennes. Ces articles rappellent que les stéréotypes de genre jouent un rôle prépondérant dans le désintérêt des filles pour les filières scientifiques, puis ils s’appuient sur une étude statistique récente pour mettre en évidence l’importance de la visibilité des femmes scientifiques pour contrecarrer ces stéréotypes.
Mais aussi, on pourra lire sur le site agenceecoffin un article sur le consortium Intermaths et le programme ERASMUS qui proposent des bourses pour des masters de mathématiques.
Honneurs
Prix Abel
C’était à retrouver dans El Pais, The New York Times, The Guardian, Le Temps, La Libre Belgique, mais les médias généralistes français ont boudé l’info… Enfin vous l’aurez peut-être appris par ailleurs, comme dans Sciences et Avenir ou dans Pour la Science, le chercheur américano-argentin Luis Caffarelli de l’université du Texas à Austin a été récompensé pour sa carrière par le prix Abel 2023 ! Luis Caffarelli a obtenu ce prix, le plus prestigieux de la discipline avec la Médaille Fields,
« pour ses contributions fondamentales à la théorie de la régularité des équations aux dérivées partielles non linéaires, y compris les problèmes de frontière libre et l’équation de Monge-Ampère. »2for his seminal contributions to regularity theory for nonlinear partial differential equations including free-boundary problems and the Monge–Ampère equation.
Le site du prix Abel accompagne son annonce de trois articles de vulgarisation sur les travaux du chercheur ainsi que d’un article revenant sur ses travaux. Les articles sont accessibles, et reviennent sur ce que sont les équations aux dérivées partielles (EDP, PDEen anglais).
L’importance de la géométrie de l’objet à l’étude est soulignée et illustrée par des exemples comme l’écoulement de gaz dans un tuyau ou la forme que prend un film savonneux lorsqu’on trempe un bâton pour faire des bulles, et l’auteur souligne que « Combinant une brillante perspicacité géométrique avec des outils et des méthodes analytiques ingénieuses, il [Caffarelli] a eu et continue d’avoir un impact énorme sur le domaine. »3“Combining brilliant geometric insight with ingenious analytical tools and methods, he [CaffarellI] has had and continues to have an enormous impact on the field”.. [ Dans les deux autres articles, l’emphase est mise sur les problèmes d’obstacles et plus généralement à frontière libre, quand la géométrie de l’objet est elle-même impactée par le modèle physique qui s’applique à, dans, ou autour de cet objet. Un exemple de problème à frontière libre est le problème de Stefan, qui s’applique par exemple à l’étude de la fonte d’un glaçon dans de l’eau.
Ce problème, auquel s’est attaqué Caffarelli dans les années 1970, intéresse aujourd’hui encore les chercheur·ses. Quanta Magazineavait d’ailleurs publié un article à ce sujet en octobre 2021, à propos des avancées récentes par Figalli, Ros-Oton et Serra, et revenant sur les travaux de Caffarelli. Son article le plus cité est intitulé « Un problème d’extension lié au Laplacien fractionnaire »4« An extension problem related to the fractional Laplacian » et permet de voir le Laplacien fractionnaire (−Δ)s comme une quantité locale en ajoutant une dimension : en résolvant −Δf=0 sur le demi-espace, et f=g sur le bord du demi-espace, (−Δ)1/2 est la trace de la dérivée de f sur le bord du demi-espace (ce qu’on appelle aussi un opérateur Dirichlet-to-Neumann). Le résultat pour s=1/2 était déjà connu, mais des caractérisations équivalentes pour un réel entre 0 et 1 ont été obtenues dans ce papier. Notons qu’encore une fois, les lecteurices francophones manquent d’information, puisque les pages Wikipédia du problème à frontière libre et du problème de Stefan n’existent pas en français ! Pour finir, rappelons que c’est la deuxième fois qu’un·e chercheur·se de l’Université du Texas à Austin obtient cette récompense, et que la dernière fois c’était une femme (la seule lauréate du prix Abel à ce jour !) Karen Uhlenbeck qui a reçu cette récompense en 2019.
Grande médaille de l’Académie des sciences
La presse française s’est par contre fait l’écho de l’attribution de la Grande Médaille de l’Académie des Sciences au mathématicien Terence Tao. Le Monde🔒 revient sur le parcours exceptionnel du récipiendaire « Médaille de bronze aux Olympiades de mathématiques en 1986, puis d’or deux ans plus tard, prix Salem en 2000, médaille Fields en 2006, prix Crafoord en 2012, Breakthrough Prize en 2015… Et l’histoire ne dit pas si, à 2 ans, lorsque ses parents l’ont surpris en train d’apprendre à compter à des enfants plus âgés, ses camarades l’ont aussi félicité. » C’est que Terence Tao a véritablement apporté sa touche à une multitude de champs mathématiques. Sur son blog, on trouve par exemple des billets sur la relativité générale ou la voile en plus de ses posts sur la théorie des nombres, les probabilités, la combinatoire, l’analyse classique ou l’analyse des EDP. Dans l’air du temps, Le Monde rapporte que « Sa conférence à l’Académie des sciencesavait pour thème provocateur le recours aux machines pour démontrer des théorèmes. “C’est un développement excitant. Cela va au-delà de l’usage de la force brute pour tester des solutions. Le sujet explose et nous entrons dans une période intéressante, a-t-il indiqué. Sur ce thème ou d’autres, on vit un âge d’or des maths. Et comme c’est dur de tout suivre, je rêve d’un assistant automatique intelligent pour m’aider à faire le tri.” »
Terence Tao confie au Monde « [qu’aux] Etats-Unis, nous n’avons pas d’événement équivalent. Ici on sent l’attachement à la tradition ». En effet, si ce n’est pas de l’attachement à la tradition que de parler de ce prix parisien, mais pas du prix Abel, qu’est-ce ? La nouvelle est aussi à retrouver dans Sciences et Avenir.
Une chercheuse à l’honneur
Autre mathématicienne à l’honneur ce mois-ci, mais sans remise de prix (bien qu’elle en ait reçu un certain nombre), c’est Emmy Murphy, une géomètre interviewée par Quanta Magazine. La phrase d’accroche est très oulipienne :
La géomètre se sent le plus épanouie lorsqu’elle explore le terrain fertile où la contrainte rencontre la création. 5The prize-winning geometer feels most fulfilled when exploring the fertile ground where constraint meets creation.
Dans l’entretien, la chercheuse revient sur son parcours, alors qu’elle est la première de sa famille à avoir fait des études supérieures, et qu’elle s’est retrouvée entourée de membres provenant de dynasties de chercheurs pendant son master à Stanford, à un moment charnière pour elle puisque c’est à ce moment qu’elle a transitionné. Elle y parle de géométrie symplectique et d’esthétique des maths : « La structure de ce que les gens choisissent de rechercher est construite à partir de jugements esthétiques. Par ailleurs, j’apprécie le plus les mathématiques lorsque je les pratique avec d’autres personnes, devant un tableau noir avec un ou deux mathématicien·nes, et que nous discutons simplement : “Oh, est-ce vrai ?”. Ainsi, lorsque je dis que les mathématiques existent dans l’espace entre nous, je pense que c’est vrai à la fois à l’échelle la plus grande et à l’échelle la plus petite des mathématiques. »6« The structure of what people choose to research is built out of aesthetic judgments. And also, I enjoy math the most when I’m doing it with other people, standing in front of a blackboard with one or two mathematicians, and we’re just discussing, “Oh, is this true?” So when I say math exists in the space between us, I think of that as being true both on the largest and the smallest scales of mathematics. »
Disparition d’André Haefliger
Diffusion
Semaine des mathématiques
Écouter et se divertir
Voici quelques recommandations de podcasts mathématiques à savourer aux premiers jours du printemps. Dans sa série d’entretiens Tête-à-tête chercheuse(s), Nathalie Ayi reçoit sa consœur mathématicienne Ramla Abdellatif, pour un récit à bâtons rompus de la construction de son parcours de chercheuse depuis ses années lycée, et une présentation de ses thématiques de recherche et de ses activités de vulgarisation avec MATh.en.JEANS.
Alexandre Morgan, professeur de maths au lycée, entretient une chaîne YouTube « Maths en tête » et un podcast du même nom, avec des contenus scolaires et grand public ; ce mois-ci, un épisode du podcast décrit la vie et la carrière d’Alexandre Grothendieck, fascinant mathématicien du XXe siècle — et naturellement mis à l’honneur très régulièrement dans cette revue de presse.Enfin, pour les anglophones, Quanta propose une interview de la mathématicienne britannique Eugenia Cheng, spécialiste de la théorie des catégories, qu’elle caractérise élégamment comme « les mathématiques des mathématiques ». La chercheuse apporte un éclairage intéressant sur cette branche hautement abstraite de la discipline, qui s’attache fondamentalement à établir des relations entre des objets dont la proximité conceptuelle est loin d’être évidente. Elle tisse ainsi un parallèle captivant entre ses recherches et l’intersectionnalité en sociologie.
Toujours sur Quanta, testez votre esprit arithmétique en jouant à Hyperlink, nouveau jeu en ligne dans lequel il s’agit de combiner des chiffres en une suite d’opérations élémentaire pour faire décoller une fusée dans l’univers. Pas si facile ! Un autre jeu mathématique, de facture plus classique et visant l’apprentissage des tables de multiplication par les enfants, est relevé par Radio Lac, qui titre « Apprendre les maths en jouant, c’est possible » : on tient là un véritable scoop !
Parutions
En kiosque :
La Recherche consacre le dossier de son dernier numéro (avril – juin) aux climats du passé. Il aborde les questions importantes et cruciales qui se posent actuellement ainsi que les éléments de réponses actuellement disponibles à l’aune des plus récents travaux. Par exemple l’article de Masa Kageyama et Pierre Sepulchre nous explique qu’aujourd’hui : « Les simulations des paléoclimats apportent à la fois des clés de décryptage des processus à l’œuvre dans le système Terre, et des éléments de réglage des modèles utilisés pour la simulation du climat futur. »
Dans les fondamentaux on remarque un entretien de Sylvia Serfaty (qui a été, avec Nalini Anantharaman l’une des deux premières femmes mathématiciennes lauréates, en 2012, du prestigieux prix Henri-Poincaré). Il est proposé par Philippe Pajot et titré « j’aime la puissance de l’analyse mathématique ». Elle parle de son regard sur les mathématiques, de ses travaux, des interactions entre les mathématiques et la physique, mais aussi de ses études, de son parcours et de l’inégalité de genre dans son domaine. Les questions portant sur les équations aux dérivées partielles, le modèle Ginzburg-Landau de la supraconductivité ou la mécanique statistique des systèmes de type Coulomb sont présentées en termes simples et clairs. L’interview est complété par un encart sur les vortex d’Abrikosov. Tout à fait passionnant, cet article devrait être largement diffusé en particulier chez les lycéens.
Peut-on comprendre le continu à partir du discret ? Sorti très tardivement, le numéro de Pour la Science du mois d’avril, devrait apporter, dans la rubrique Logique et calcul, une pierre à des questions qui taraudent depuis très longtemps les mathématiciens. Il y est question de fractales, de la quadrature du cercle, des nombres réels manipulés par les logiciels de calcul formel, de la construction des réels à partir des rationnels, de Cantor et Hilbert. Au fil de l’article, on verra que les mathématiques ne formulent aucune transition satisfaisante du discret vers le continu. Mais c’est une promenade à travers plus de deux mille ans d’histoire des mathématiques qui mérite que l’on s’y arrête.
Topos : Et si le plus délirant des concepts mathématiques pouvait enfin rendre l’IA intelligente ? C’est la question que pose Román Ikonicoff rédacteur (et membre fondateur) d’Epsiloon dans le numéro d’avril du magazine. Dans une émission de franceinfo (le billet sciences week-end du 19 mars) Hervé Poirier (rédacteur en chef d’Epsiloon) en parlait également. Il est évident qu’un algorithme n’a pas le sens de ce qu’il fait. Un certain nombre de chercheurs pensent que le concept de topos introduit par Alexandre Grothendieck dans les années 60 pourrait permettre de « se représenter comment s’organise l’information dans le réseau en silicium, ou mieux : le structurer de façon à lui imprimer le sens des choses ». Pour écrire son article l’auteur a interrogé Jean-Claude Belfiore, responsable du département Communications Mobiles chez Huawei (qui s’intéresse depuis plusieurs années à la question). Román Ikonicoff ne cache pas que dans l’état actuel il s’agit de spéculations. Il souligne également en fin d’article que Huawei soupçonné de lien étroit avec le Parti communiste chinois et d’espionnage dans plusieurs pays (dont la France) n’a pas bonne presse même dans le monde de la recherche. « Mais le vertige reste : et si le plus abstrait des concepts mathématiques permettait de rendre l’IA encore plus puissante ? »
En librairie :
Les éditions EDP Sciences ont annoncé la sortie le 30 mars de l’ouvrage de Lisa Rougetet, Le binaire au bout des doigts, sous-titré Un casse-tête entre récréation mathématique et enseignement et co-publié par EDP Sciences et UGA Editions, dans la collection Enseigner les Sciences. Sa présentation : « Cet ouvrage fait suite à la découverte fortuite du manuscrit intégral du Traité du baguenaudier (voir ici ou là) rédigé par Louis Gros en 1872. Gros n’était pas mathématicien de formation, mais il a néanmoins résolu ce casse-tête, en utilisant un code binaire qui sera utilisé bien plus tard dans le domaine des télécommunications. Alors, le casse-tête du baguenaudier, un simple jeu ? Certainement pas ! C’est aussi une manière ludique d’enseigner les mathématiques ou d’apprendre à les aimer. » Le communiqué précise que « la collection “Enseigner les sciences” s’adresse aux enseignants des premier et second degrés, à ceux de l’université, aux formateurs, ainsi qu’à toute personne intéressée par les mathématiques, sciences et techniques, l’éducation ou la formation scientifique. Il s’agit notamment de valoriser et diffuser les travaux de recherche-action des IREM, de Maths à modeler, ainsi que ceux qui sont menés dans tous les pays francophones, grâce au réseau des IREM et à ses liens avec l’Afrique, l’Amérique latine, l’Asie, le Québec et l’Europe francophone. »
Pour finir, quelques mots sur une publication que vous ne trouverez ni en kiosque ni en librairie. Le café pédagogique a consacré en mars une page à un numéro d’ Au fil des maths, un numéro spécial 1er degré de plus de 150 pages conçu « pour repenser sa pratique en mathématiques », disponible en téléchargement gratuit. La richesse de ce numéro saute aux yeux en consultant le sommaire en quatrième de couverture. On comprend tout de suite que cette publication qui s’adresse principalement aux enseignants de mathématiques « de la maternelle à l’université » et aux adhérents de l’association, tout en ouvrant une fenêtre sur « quelques ressources pour la pratique des mathématiques en classe » propose également à ses lecteurs des articles pour approfondir. À ce titre il n’intéressera pas que les enseignants du primaire. Avec des actualités (ou informations) importantes pour le métier, il propose une véritable mine d’informations, des pistes de travail et de réflexion, de précieux éléments pour compléter la formation continue et même des récréations (bien sûr mathématiques !). Une nouvelle mouture composée « d’anciens articles augmentés de témoignages de collègues et de nouveaux articles » sous-titrée Suite est sortie en mars. Justement en parlant de « suites », un article de Mireille Génin, Vous avez dit SUITES…, rebondit sur une tribune de Patrick Popescu-Pampu publiée il y a un an par Images des Maths. Elle « nous conte une recherche originale d’un de ses élèves sur la suite présentée »… « Un joli thème de réflexion dans un club mathématique de lycéens » tout en nous donnant envie de relire non seulement cette tribune, mais aussi le livre de John Horton Conway et Richard K. Guyqui a servi de source à Patrick Popescu-Pampu. Un bel exemple de pratique de classe accompagnée de diffusion de la culture mathématique et de la didactique. Par ailleurs l’APMEP indique qu’elle met progressivement en accès public tous les premiers numéros de sa revue (jusqu’au numéro 539 de mars 2021 inclus).
Histoire
Bagdad
La rubrique histoire de ce mois de mars nous fait voyager jusqu’à la création de Bagdad. En effet, France Culture proposait un épisode du Cours de l’Histoire pour comprendre comment cette cité est devenue incontournable dans la diffusion des savoirs et notamment des savoirs mathématiques. Traductions de textes grecs ou indo-persans, apports de corrections ou de commentaires sur ces anciens écrits ont contribué à l’essor des sciences dans la ville.
Blaise
Poursuivons notre voyage temporel et arrêtons-nous au XVIIe siècle de Blaise Pascal. À l’occasion des 400 ans de sa naissance, le Figaro lui a consacré un hors-série : Pascal, le cœur et la raison. Parmi les thématiques abordées, les compétences précoces et adolescentes de Blaise Pascal en géométrie. S’amusant à dessiner des formes aussi parfaites que possible, celui qui inventera plus tard la première machine à calculer (la Pascaline) aurait découvert par lui-même que la somme des angles d’un triangle égale 180 ° (la 32e proposition d’Euclide). Le Figaro n’est pas le seul média à célébrer l’anniversaire de Blaise Pascal : le mois dernier on vous parlait dans la revue de pressedu dossier de Philosophie Magazine sur le mathématicien et philosophe.Évariste
Passons maintenant au XIXe siècle, siècle de naissance et de mort du mathématicien français Évariste Galois. Selon Slate, c’est en effet à ce génie de la théorie des groupes que l’on doit le « duel le plus fou de l’histoire ». La mort de l’inventeur de la théorie de Galois est en effet tristement célèbre : un duel provoqué pour des raisons mystérieuses où Évariste Galois, alors âgé de 20 ans, est touché mortellement à l’abdomen.
John et Pavel
Terminus de notre voyage dans le temps : le XXe siècle. Tout d’abord avec cet article de Futura consacré à une biographie de John von Neumann publiée en février 2023 : John von Neumann L’homme qui venait du futur, aux éditions Quanto. Le magazine littéraire L’ActuaLitté soulignait en janvier l’accessibilité de cette “passionnante biographie” écrite par Ananyo Bhattacharya.
Finalement, dans les pages du Ouest-France🔒, la commune de Batz-sur-Mer se souvient qu’il y a presque cent ans, le mathématicien ukrainien Pavel Urysohn y trouva la mort par noyade. Célèbre pour un lemme qui porte aujourd’hui son nom, il s’est principalement illustré en topologie, et ses travaux furent publiés à titre posthume par son ami Pavel Aleksandrov dont le récit de ce tragique évènement est relaté dans le quotidien.
Arts
Mathématiques stylées
« Une célébration de la géométrie symétrique, équilibrée et rationnelle. Une réflexion sur le quadrilatère […] À partir de cette analyse principalement formelle, avec une série de créations surprenantes, d’idées et de technologies innovantes, la collection explore l’espace vide entre la robe et l’individu qui la porte. » C’est ainsi que L’Officiel présente le dernier défilé Issey Miyake. Celui-ci, disparu cet été, a toujours utilisé la géométrie pour ses créations, comme on peut le voir sur ces sacs qui ressemblent à des maillages éléments finis conformes.
Mathématiques lettrées
Début avril, un colloque intitulé « Mathématiques à l’œuvre. Mathématiques, littérature, arts » est organisé par le Centre de Recherches Interdisciplinaires et Transculturelles, à l’Université de Franche-Comté. Alors que littérature et mathématiques sont trop souvent mises en opposition, la présentation du colloque rappelle que ce sont « deux mondes […] qui pourtant s’observent, dialoguent, s’inspirent mutuellement. » Jugez par vous-mêmes : « D’Edgar Poe à Umberto Eco, de Lautréamont à Wislawa Szymborska, de Robert Musil à Paul Valéry, romanciers et poètes disent leur fascination pour les mathématiques, en émaillent leurs œuvres, chantent leur beauté en vers ou en prose. Avec Pascal, Lewis Carroll, Douglas Hofstadter ou Jacques Roubaud, on découvre que l’on peut être à la fois bon mathématicien et belle plume. Et si l’arithmétique et la symétrie sculptent depuis toujours la poésie, oulipiens et autres tenants de l’écriture à contraintes ont apporté la preuve que les mathématiques offrent de formidables outils de création littéraire. Rythmes, rimes et autres mesures constituent en effet une véritable musique mathématique qui, dans le poème, est responsable de l’harmonie phonique, de la technique de versification, de savants assemblages de mots et de sons. » Vous pouvez vous inscrire en ligne pour recevoir un lien pour la visioconférence. Marie Lhuissier, conteuse de mathématiques dont nous parlons de temps en temps dans cette revue de presse, présentera un exposé intitulé « Des contes mathématiques, pour parler aux enfants et aux jeunes de la nature de l’activité mathématique ».
D’ailleurs, ce mois-ci, on retrouve dans la presse une autre belle initiative liant mathématiques et littérature (théâtre plus précisément). Ouest France revient sur le festival La Preuve par 9, organisé pour la 5e fois par Le Temps des Sciences. On retrouve l’approche oulipiennepuisque la présentation du festival annonce que les maths sont « utilisées comme contraintes et règles du jeu, elles donnent lieu à de nouvelles formes théâtrales et sont des outils de créativité et d’innovation. Le théâtre est quant à lui support pour exprimer les notions mathématiques. »
Actu Paris revient sur le spectacle La Machine de Turing, « une pièce de théâtre sur le père fondateur de l’informatique », au théâtre du Palais Royal, récompensée par 4 Molières. La pièce est à l’affiche jusqu’au 29 avril ! En parlant de Turing, faisons un petit écart pour relayer la remise du prix Turing à Robert Metcalfe.
Mathématiques peintes et sculptées
Dans l’émission Ramène ta Science du 5 mars, intitulée « Les secrets scientifiques des œuvres d’art », Daniel Hennequin annonce la tenue d’une conférence à ce sujet par le chroniqueur Loïc Mangin, responsable de la rubrique Arts et Science de la revue Pour la Science à Lilliad (Villeneuve d’Ascq). On y parle notamment Dali et 4e dimension : « Il y a par exemple celui qui concerne le christ en croix de Salvador Dali intitulé Corpus Hypercubus. Eh bien cette toile est une véritable fenêtre sur la 4e dimension ! Dali y a représenté la croix sous la forme d’un hypercube de dimension 4 vu depuis notre espace à trois dimensions. Oui, Dali avait quelques bonnes notions de mathématiques ! »
Enfin, célébrons l’arrivée du grand Rulpidon de la Maison Poincaré ! L’Institut Henri Poincaré a partagé une courte vidéo sur laquelle on voit la sculpture arriver dans le futur jardin.
Pour finir
Claudine Monteil est une ancienne diplomate française, autrice, militante au Mouvement de Libération des Femmes, proche de Sartre et de de Beauvoir. Elle est aussi la fille du célèbre bourbakiste Jean-Pierre Serre et de la chimiste Josiane Serre. Dans cet épisode d’A voix nue, elle nous raconte les débats endiablés de son père et des autres membres du groupe Bourbaki autour de la refondation des mathématiques, son admiration pour les « filles Curie », Marie, Irène et Eve, son éveil au féminisme etc.
7h45
Attention, les cerfs-volants composant le chapeau ne sont pas les mêmes que ceux de Penrose.
12h11
Le moins que l’on puisse dire, c’est que la différence ne saute pas aux yeux ! Une chose est sûre, la tuile élémentaire composant le chapeau est bien un cerf-volant au sens où on l’entend dans les exercices de géométrie du collège, autrement dit un quadrilatère convexe formé par la réunion de deux triangles isocèles ayant leur base en commun. Dans le cas des cerfs-volants de Penrose, il y a une contrainte supplémentaire portant sur les angles des triangles : il faut utiliser ce que l’on appelle des triangles d’or. Nous devons humblement avouer que nous ne nous sommes pas demandé si les cerfs-volants de Kaplan vérifiaient bien cette contrainte ! Est-ce bien à cela que vous pensiez ?
15h21
Ma femme trouve qu’il y a une tricherie. Les tuiles ressemblent à une chemise avec une manche longue et une manche courte et on a les deux positions possibles : manche longue à gauche et à droite. Donc si on s’interdit de sortir du plan pour tourner la tuile, on a DEUX tuiles différentes.
15h42
Et même en fait il y a $4$ tuiles puisque il y a manche longue à gauche ou à droite et bas long à gauche ou à droite.
Donc selon ma femme et moi, le théorème On a un pavage apériodique avec une seule tuile n’est toujours pas démontré et on reste avec la borne de Penrose avec un pavage apériodique à deux tuiles (là, on en a quatre).
Alors pourquoi serait-ce quand-même un beau résultat mathématique et en quoi n’est-ce pas du bas sensationnalisme de la part de la communauté mathématique ?
12h20
Excellentes remarques ! Vous avez pu constater, d’une part que nous avons été prudents en écrivant : « Craig Kaplan vient de déclarer avoir apporté avec ses collègues une réponse positive à cette question », et d’autre part que nous avons mis deux bémols pour conclure : la prépublication n’a pas encore été expertisée et le recours à des symétries axiales pour réaliser le pavage du plan n’est pas très orthodoxe…
Merci en tout cas pour votre lecture attentive !
12h43
Alors, bravo à ma femme !
Quelle chance j’ai !!!
14h07
Pas d’accord : le fait de recourir à des symétries axiales est tout à fait courant dans les pavages. Il y toujours la question de savoir si on a le droit ou non de le faire. En anglais, on parle de « one-sided ». Si la preuve est validée, il restera donc effectivement la question de l’existence d’un « one-sided einstein ».
11h20
Monsieur Roux,
Vous avez raison, la tuile proposée ne résout pas entièrement le problème puisqu’il faut sa symétrique axiale.
Je pense que cela fait plus suite au pavage de Socolar-Taylor qui se proposait de n’utiliser qu’une tuile (au lieu de deux chez Penrose) : elle n’est pas d’un seul tenant et est si irrégulière que du coup l’existence même d’une solution connexe au problème « Einstein » était mise en doute.
C’est dans cette optique qu’il faut apprécier à sa juste valeur le « chapeau » (ou « t-shirt ») de Smith, Kaplan, Myers et Goodman-Strauss.
Bien à vous.
14h15
Mais c’est quoi ce problème « Einstein » (et est-ce l’Einstein Albert ?) ?
14h24
Jeu de mots : ein Stein en allemand. « Une pierre ».
14h01
Oui. C’est bien cela. Chez Penrose, les cerfs-volants sont construits dans un pentagone, d’où le nombre d’or. Chez Kaplan et son équipe, il s’agit de cerfs-volants obtenus par symétrie d’une moitié de triangle équilatéral.
À noter que le nombre d’or apparaît tout de même dans la démonstration non encore validée : la non périodicité s’appuyant sur son irrationalité.
16h13
Une notification du journal Le Point :
Pour Craig Kaplan, professeur d’informatique à l’université canadienne de Waterloo, c’est « une histoire amusante et presque ridicule, mais merveilleuse », dit-il à l’AFP. Il raconte avoir été contacté en novembre 2022 par David Smith, ancien technicien d’imprimerie dans le Yorkshire (nord de l’Angleterre) : il avait trouvé un motif « qui ne se comportait pas de la façon dont on pouvait s’y attendre ». Si on assemblait plusieurs exemplaires de ce motif sur une table, aucun motif d’ensemble n’y apparaissait. Un programme informatique a confirmé qu’il s’agissait du premier « einstein », appelé également en langage savant une « monotuile apériodique »
Pas tout à fait la même façon de faire la découverte…