Avril 2024

Publié le 1er mai 2024

Les mois passent et, sur certains aspects, se ressemblent fort. Nous ne parlons bien évidemment pas ici de météo, mais plutôt de la quantité de publications en lien avec la réforme de l’enseignement secondaire actuellement à l’œuvre en France : c’est pourquoi il s’agit, ce mois-ci encore, de l’un des gros morceaux de notre revue de presse.

Cependant, ne fuyez pas déjà s’il vous plaît ! En effet, sachez que ce mois a par ailleurs été plutôt généreux sur d’autres sujets qui nous tiennent à cœur : qu’il s’agisse de recherche mathématique à proprement parler ou du monde de la recherche en général, des actions de diffusion à destination de différents publics non professionnels ou encore de jolis ouvrages mathématiques (à l’image de la petite Xenia qui illustre l’en-tête de cette édition d’avril), il y a tout de même de quoi se réjouir un peu.

Nous en profitons d’ailleurs pour vous proposer deux manières d’apporter votre pierre à ce bel édifice. La première est totalement gratuite, puisqu’il s’agit de voter pour les planches candidates du concours Bulles au carré organisé par Images des mathématiques. La seconde peut nécessiter quelques fonds (ou pas), pour permettre la parution d’un conte mathématique de toute beauté, et avoir la chance de faire la connaissance de la petite Xenia sus-mentionnée.

Nous ne vous en disons pas plus, afin de ne pas diminuer le plaisir de la découverte du contenu de la revue de presse de ce mois d’avril. Nous vous souhaitons une très bonne lecture, et n’hésitez pas à nous faire parvenir vos commentaires ou vos retours sur cette nouvelle édition de notre travail !

À la une

Les procès se suivent et se ressemblent pour Azat Miftakhov, ce jeune mathématicien russe qui vient d’être condamné à quatre années supplémentaires d’emprisonnement au motif (vraisemblablement monté de toutes pièces) de « terrorisme avéré ». En ces temps où démocratie et liberté académique vivent des moments difficiles, comme le soulignait par exemple le site web du Monde dans un article du 1er avril dernier🔒 (et ce n’est malheureusement pas une blague), il est important de rester mobilisés et de le faire savoir.

Une autre nouvelle, bien plus réjouissante, de ce printemps est le succès rencontré par la journée « l’essentielle parité en mathématiques », qui s’est tenue au laboratoire de mathématiques de Poitiers le 28 mars dernier. Pour celles et ceux qui n’auraient pu y assister, une session de rattrapage est possible grâce à la mise en ligne des vidéos de la conférence sur les inégalités de genre donnée à cette occasion par la sociologue Clémence Perronnet, et de la table ronde qui a suivi, dont le sujet est éponyme de l’intitulé de la journée. Nous ne résistons pas au plaisir d’attirer votre attention sur la fresque réalisée en direct par Philine Bellenoue, facilitatrice graphique poitevine. Dans le même temps, le replay de la présentation (le 8 mars dernier) par la Mission pour la place des femmes au CNRS du plan d’action égalité 2024-2026 du CNRS, que vous pouvez retrouver en cliquant ici est ENFIN disponible en ligne à cette adresse. Reste à voir maintenant ce qui sera effectivement mis en place au cours des trois prochaines années….

Si vous vous interrogez sur l’origine de l’en-tête de cette revue de presse, n’allez pas plus loin : il s’agit de l’une des illustrations réalisées par Elis Tamula pour l’un des six contes mathématiques de Marie Lhuissier. Celle-ci a lancé une campagne de financement participatif sur la plate-forme Ulule afin de permettre l’édition de ce deuxième volume, intitulé « Un conte tout droit ». Si vous le pouvez, n’hésitez pas à contribuer à cette campagne, dont les contreparties sont à la fois artisanales, pertinentes et originales. Cela permettra à « La faiseuse de neige » d’avoir un petit frère, et à de nombreux enfants (plus ou moins jeunes) de découvrir de belles mathématiques sous un angle onirique et poétique caractéristique de l’univers de Marie ! De manière totalement gratuite, vous pouvez aussi parler de cette campagne (et de cette artiste mathématicienne) dans votre entourage, afin de la faire connaître le plus possible ! Il vous reste 26 jours pour permettre à cette conteuse mathématique de talent d’atteindre le nombre de contributions requises pour lancer l’impression de ce volume, prévue d’ici à cet été, et attendue avec impatience par notre équipe Parutions de la revue de presse !

Vie de la recherche

Le logo du projet Sciences 2024

Le logo du projet Sciences 2024

L’approche des Jeux olympiques a permis récemment de mettre en valeur quelques collaborations de longue date entre le monde de la recherche mathématique et celui du sport de haut niveau. En effet, différents programmes ont été développés en ce sens ces dernières années, avec dans le viseur l’événement sportif de cet été. On a par exemple pu découvrir récemment sur France Inter quelques acteurs du programme Sciences 2024, parmi lesquels la Fédération Française de Cyclisme et plusieurs grandes écoles et universités, dont l’objectif est de « de se mettre au service des entraîneurs pour voir, parmi toutes les questions qu’ils se posent, lesquelles sont du ressort de la physique, des mathématiques ou de la mécanique. Ce sont sur ces questions auxquelles on peut contribuer et leur apporter des réponses scientifiques », d’après Christophe Clanet, physicien à l’école Polytechnique et directeur de ce programme de recherche d’envergure. Dans un autre genre, on découvre sur le site web de France Info que des outils d’intelligence artificielle et de réalité virtuelle sont utilisés dans le cadre du projet Revea, porté par l’Université Rennes 2, afin de permettre aux futur·es champion·nes de course, de boxe ou encore de gymnastique d’optimiser leurs entraînements et de limiter le risque de blessures en vue des jeux à venir. Cependant, l’apport effectif de l’utilisation de ces outils est encore trop récent et peu étudié pour pouvoir affirmer qu’il est réel. Si l’on en croit Nicolas Tordi, chercheur à l’Université de Franche-Comté et conseiller scientifique de la fédération française de gymnastique depuis 2000, « les effets de la réalité virtuelle sur l’apprentissage en gymnastique se verront davantage en 2028 qu’en 2024. », soit donc plutôt pour les jeux de Los Angeles que pour ceux de Paris. Est-ce que tout cela permettra aux équipes françaises de rapporter plus de médailles olympiques et d’améliorer leurs performances de manière effective, que ce soit à Paris ou à Los Angeles, et à une partie de la communauté mathématique d’obtenir des financements pérennes pour leurs travaux de recherche ? Réponse dans les stades, sur les pistes et sur le ring à partir de cet été !

L’iceberg de la recherche (mathématique) française cache cependant des situations bien moins réjouissantes. Les premiers résultats d’une étude de l’Iredu (Université de Bourgogne) menée auprès de 6000 enseignants-chercheurs et enseignantes-chercheuses au printemps 2023, ont été publiés il y a quelques semaines et ils ne sont guère encourageants. Rapportés notamment dans la dépêche 710933 de l’AEF🔒, ils indiquent par exemple que plus de 25% des personnes interrogées envisagent de changer de métier dans les prochaines années. Pour un métier souvent présenté comme un « métier passion », et étant donné le nombre d’efforts et de sacrifices parfois nécessaires pour obtenir un tel emploi, c’est un résultat lourd de sens qui mène forcément à s’interroger sur les conditions effectives de travail de ces personnels. Sans surprise pour qui côtoie régulièrement les habitant·es de ce monde, l’augmentation de la quantité de tâches administratives et pédagogiques, de plus en plus chronophages, à mener avec des moyens de plus en plus dégradés, fait que plus de 80% des personnes interrogées sont en « fort épuisement professionnel ». Une situation préoccupante qui n’épargne pas notre discipline, malheureusement.

Et force est de constater que les décisions récemment prises en termes de recrutement de vacataires (au détriment de postes pérennes) par les différentes universités françaises ne vont pas dans le sens d’une amélioration de cette situation. Un article publié le 10 avril dernier sur le site des Echos reprend les différents points d’une note publiée deux jours plus tôt par le collectif Nos services publics. Celle-ci pointe l’« uberisation du monde de la recherche », dans lequel de plus en plus de jeunes (et moins jeunes) chercheurs et chercheuses sont des situations précaires, sans perspective de poste stable à court ou moyen terme. On y apprend notamment que les vacataires représentent « plus de 60% des effectifs d’enseignants de l’enseignement supérieur et de la recherche », et que cette proportion n’a eu de cesse d’augmenter ces dernières années. Selon cette note, cette situation contribuerait, parmi d’autres facteurs, à aggraver « la perte d’attractivité des métiers de la recherche en France », ce que l’on ne peut guère nier.

Cédric Villani, écrivain et orateur enthousiaste

Sur une note plus philosophique, mais pas forcément plus optimiste, Cédric Villani, ancien député français (et mathématicien, bien entendu) que l’on ne présente plus, a publié une tribune dans l’édition du 16 avril du journal La Croix🔒 sur la manière dont, selon lui, l’intelligence artificielle est amenée à impacter nos sociétés dans les années à venir. Il rappelle notamment que les intelligences artificielles sont avant tout un outil, qu’elles sont « des recettes statistiques prenant pour départ le Léviathan qu’est la toile, et y piochant les réponses à grand renfort de statistiques et de paramètres ajustés. » et qu’elles n’ont finalement « pas plus de conscience ni d’intelligence, en soi, que la formule qui calcule [n]os impôts ». D’après Cédric Villani, le véritable problème auquel nous devons faire face n’est pas celui de notre éventuel remplacement par les IA, mais celui de notre « monde de solitude » dont « les usagers sont en manque de rapports humains ». Comme il le dit très bien en fin de tribune : « La question elle-même, allons-nous nous faire remplacer par des IA, est révélatrice de cette terrible dérive qui s’est instaurée, à considérer les humains non comme des humains, mais comme des fonctions, des partenaires commerciaux, des entités à écrire des textes, vendre des produits, usiner, répondre au courrier. » Ainsi, plutôt que de penser que le danger réside (uniquement) dans ce que les IA sont capables ou non de faire, ne serait-il pas plus urgent de s’interroger sur la manière dont nous nous considérons les un·es les autres ? (Notons que c’est ce même Cédric Villani qui nous remettra du baume au cœur dans la rubrique « Diffusion » ci-après…)

Et aussi, ce mois-ci...

  • Un modèle mathématique révèle de manière très précise l’influence des paramètres physiologiques et mentaux dans la performance en course à pied, et donne des clefs d’optimisation de son entraînement. On en parle ce mois-ci dans Ça m’intéresse, même si le titre de l’article concerné ne reflète guère son contenu, et l’on trouve plus de détails dans un article publié le 5 mars dernier sur l’espace presse du site du CNRS
  • Grâce au journal Ouest-France, nous apprenons que des groupes de lycéen·nes bénéficient d’une semaine de séminaire « en immersion dans les sciences » à l’Ile-Tudy, pour une « plongée au cœur des filières scientifiques ». Au programme : mathématiques, météorologie, chimie ou encore écologie.

Recherche et Applications

Le grand entretien de Nalini Anantharaman

Ce mois-ci, Nalini Anantharaman était invitée dans l’émission La Science, CQFD pour un grand entretien. Une interview passionnante où la mathématicienne raconte son parcours et son goût des mathématiques. Curieuse de toutes les sciences (physique, biologie, mathématiques), c’est finalement l’abstraction qui intéresse le plus Nalini Anantharaman, qui hésite alors entre physique théorique et mathématiques. La chercheuse explique qu’elle aime explorer différentes branches des mathématiques, et que cela lui permet d’extraire certaines idées pour les appliquer ailleurs. Cette émission est également l’occasion pour la mathématicienne, titulaire de la chaire de géométrie spectrale au Collège de France, de lever le mystère sur cette branche des mathématiques à la croisée de plusieurs autres. Pour ce faire, elle est venue dans le studio avec plusieurs polyèdres et autres solides, qui lui permettent d’expliquer le théorème de l’indice de manière accessible au grand public.

Nalini Anantharaman

Il nous semble intéressant de relever la réponse de Nalini Anantharaman à la présentatrice de l’émission, Natacha Triou, quant à la fameuse « beauté des mathématiques », car elle se pose à contre-courant de ce que l’on peut lire ou entendre régulièrement. Pour Nalini Anantharaman, la beauté des mathématiques ne s’admire pas de la même manière que l’on peut se laisser emporter par celle d’un morceau de musique, être captivé·e par celle d’une peinture : pour pouvoir apprécier la beauté des mathématiques, la passivité n’est pas de mise, et papier et crayons sont de rigueur. Ils ne le sont cependant pas pour apprécier ce grand entretien, que vous pouvez retrouver sous forme vidéo, sur la chaîne YouTube de France Culture.

Les mathématiques pour comprendre l’influence de variations génétiques

Jusqu’à présent, pour trouver le lien entre certains traits particuliers, comme la susceptibilité des maladies, et les variations génétiques, les scientifiques devaient regarder un variant à la fois. Cependant, comme l’explique Gabriel Krouk, biologiste et directeur de recherche au CNRS-INRAE à Montpellier, à La Tribune Occitanie Montpellier🔒, « les chercheurs sont convaincus depuis des années que ce ne sont pas seulement les variants pris un par un qui ont un effet, mais plutôt leur combinaison. Or, il existe un nombre exponentiel de combinaisons possibles d’interactions entre ces variants, ce qui rend la recherche exhaustive de toutes les interactions potentielles très difficile ».

Illustration issue du site de Gabriel Krouk

Gabriel Krouk et ses collègues ont « fait sauter ce plafond de verre » en développant un outil mathématique qui, grâce à des calculateurs graphiques, « permet de compresser le problème dans un monde plus petit, réduisant ainsi la taille du problème, afin ensuite de le décompresser sur des valeurs plus importantes ». Leurs résultats ont été publiés le 25 mars dernier dans la revue Genome Biology. Il s’agit là d’une avancée significative, car comme le signale Gabriel Krouk, « les chercheurs peuvent maintenant fournir des cartes de plus de 60 milliards d’interactions entre variants pour comprendre un trait donné… C’est une première mondiale. Cette méthode est validée mathématiquement et informatiquement. »

Et aussi, ce mois-ci...

  • Reconstruire des histoires à partir de modèles mathématiques : qu’est-ce qu’un événement fondateur ? Rémi Tournebize, postdoctorant du CNRS à l’université Toulouse III Paul-Sabatier, propose une première cartographie mondiale des “événements fondateurs” de l’humanité. À retrouver chez Sciences et Avenir🔒 et chez Science&Vie.
  • Villes du futur, à l’intersection des maths et de l’écologie. Une vidéo de la série Les Échappées inattendues, la science racontée par le CNRS.
  • « L’école de mathématiques française est la meilleure au monde, et c’est une force pour l’IA ». Sylvie Retailleau, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, était à Grenoble ce lundi 25 mars pour le lancement d’un vaste programme de recherche autour de l’intelligence artificielle (IA). Le Dauphiné Libéré🔒 en parle dans ses colonnes.

Enseignement

Réforme des concours des enseignements et retour des écoles normales : où est ma DeLorean ?

Tout vient à point (ou plutôt bien cuit, en l’occurrence) à qui sait attendre : les modalités de la réforme des concours d’enseignement promise par le président de la République et son Premier ministre ont enfin été annoncées ! Le jour même, la dépêche no 710269 de l’AEF🔒 ainsi que les sites de plusieurs journaux nationaux comme le Monde🔒, le Figaro🔒 ou Libération🔒 reprenaient les points phares de cette annonce, que l’on peut retrouver extensivement sur le site de l’Élysée, au format vidéo et au format pdf. Il est savoureux d’y lire ou d’y entendre que cette réforme est nécessaire, car « on voit bien que le système qu’on a adopté ces dernières décennies n’était sans doute pas le meilleur. Pourquoi ? Parce qu’en fait, il faisait naviguer des enseignants pendant 5 ans post-bac, avec des filières qui étaient diverses et variées. On avait un concours qui était la fin du M2 et on avait beaucoup d’enseignants qui avaient du coup (sic), parfois pendant plusieurs années, qui étaient sortis des savoirs fondamentaux ». S’il est vrai que le passage de Bac +3 à Bac+5 était depuis 2005 à l’agenda des prédécesseurs de l’actuel président, et qu’il a été mis en œuvre dès 2010, c’est cependant durant le premier mandat de l’actuel président de la République qu’a été promulguée la loi du 26 Juillet 2019 pour une école de la confiance, qui entérinait notamment la transformation des ESPE en INSPE, une refonte de la formation initiale des futur·es enseignant·es (qui serait désormais « majoritairement consacrée aux savoirs disciplinaires fondamentaux et à la connaissance des valeurs de la République »…) et la pertinence du maintien des concours de recrutement à Bac+5.

Les trois principaux points de cette nouvelle réforme sont les suivants, abondamment commentés par les différents acteurs du monde de l’éducation, comme sur le site du Café Pédagogique ou celui de France Universités :

  • le retour des concours de recrutement des enseignant·es du premier et du second degré au niveau Bac + 3 (au lieu de Bac + 5), comme au début des années 2000 ;
  • la création d’une licence de préparation au professorat des écoles (LPPE), dont les enseignements en « français, maths, géographie, histoire » seront mis en œuvre avec « les méthodes les plus innovantes » (comme en 2019, dis donc), et dont les détenteurs et détentrices seront dispensé·es de passer les épreuves écrites du concours (autrement dit, ils et elles seront de suite admissibles et pourront directement passer les deux épreuves orales) ;
  • la disparition des masters MEEF au profit de nouveaux masters professionnalisants à destination des lauréat·es du concours, qui seraient alors des « élèves fonctionnaires dès le M1 », au sein de « nouvelles écoles normales du XXIe siècle », comme au siècle dernier (où le concept de master était inexistant, certes).

Le président de la République justifie ces transformations totalement disruptives par la nécessité de mettre en œuvre le choc des savoirs tant défendu par son Premier ministre. Il affirme en particulier que l’« on s’aperçoit que si on veut réussir ce choc des savoirs, cette transmission, le meilleur résultat pour nos enfants, on a besoin d’avoir les maîtres les mieux formés possible ». Cependant, en lisant ou écoutant suffisamment longtemps l’intervention présidentielle, on arrive à la réelle motivation de ces modifications annoncées et à venir (sans vouloir gâcher la surprise, des changements supplémentaires à plus long terme sont annoncés dans ce discours, saurez-vous les détecter ?) : « l’objectif à terme, quand ce système sera mis en place, c’est de beaucoup mieux former, de prévoir aussi ce dont la nation a besoin et donc de recruter des après bac au maximum et donc de pouvoir moins recruter de contractuels. Donc l’objectif de cette réforme, c’est d’ouvrir ces filières universitaires, mais de le faire dans le cadre de ce qu’on investit dans notre enseignement supérieur et de le faire en fermant aussi d’autres filières qui ont moins de débouchés. » Si l’on traduit ces deux longues phrases, il s’agira donc de recruter tout de suite après baccalauréat les futur·es enseignant·es, de les former pendant 3 ans au sein des « nouvelles écoles normales », et d’accompagner le temps du nouveau master (soit donc pendant deux ans) les lauréat·es du concours dans leur autonomisation face à la classe, en les rémunérant. Cela a tout de même un petit air de déjà-vu, non ? Le lapsus des « maîtrises qui seront ensuite adaptées » (pour les lauréat·es du concours titulaires d’une licence autre que la LPPE) nous semble assez révélateur…

Si tout comme nous, vous avez parfois du mal à vous repérer dans les différentes évolutions des concours de recrutement et des formations des enseignant·es de l’école primaire, l’équipe de rédaction du site Vie publique a pensé à vous en publiant la semaine dernière un historique assez complet et clair des différentes réformes de la formation des maîtres·ses d’école.

Une fois n’est pas coutume, le président veut aller vite dans la mise en œuvre de ses annonces ; il a donc affirmé que cette réforme serait mise en place dès la rentrée prochaine pour les concours du premier degré. Cela nécessite donc une publication des textes avant la session 2024, ce qui a mené Nicole Belloubet, actuelle ministre de l’Éducation nationale, à affirmer lors de son passage du 7 avril dans l’émission Questions politiques, sur France Inter, que « nous allons devoir cravacher, si je peux utiliser cette expression. » Un article fraîchement mis à jour par Elsa Doladille sur le site VousNousIls reprend d’ailleurs de manière synthétique les principaux points de l’intervention de la ministre dans cette émission.

Le choc des savoirs, un coup dur à encaisser

Tandis que l’actuelle ministre de l’Éducation nationale affirme (toujours au micro de France Inter, lors de l’émission Questions politiques du 7 avril sus-mentionnée) qu’elle ne « laissera pas le choix » aux établissements qui disent refuser de mettre en place les groupes de niveau, quitte à « [aller elle]-même dialoguer avec les équipes enseignantes », la mobilisation contre cette réforme, dont les modalités de mise en œuvre au collège restent encore floues, ne faiblit pas, comme en témoignent de nombreux articles à ce sujet.

Que ce soit à Redon🔒, à Villers-Bocage🔒 (dans le Calvados, pas dans la Somme), à Gallardon, à Bricquebec-en-Cotentin🔒 ou encore à Saumur🔒, parents et enseignant·es restent uni·es contre la disparition des classes telles qu’on les connait actuellement. On leur doit notamment l’organisation d’actions de type « collège vide » ou « collège mort » qui rencontrent un franc succès en Ille-et-Vilaine🔒, à Lisieux🔒 ou encore à Alençon🔒.

De leur côté, 34 chef·fes d’établissement ont rédigé une tribune, publiée en exclusivité sur le site du Café pédagogique, pour interpeller l’actuelle ministre de l’Éducation nationale sur la « pression à peine dissimulée » à laquelle ils et elles sont soumis·es pour appliquer le Choc des savoirs, quitte à « renier [leur] éthique, [leur] déontologie […] et les principes républicains » auxquels ils et elles sont attaché·es.

Cela n’empêche pas Nicole Belloubet de passer outre et de planifier la mise en œuvre de ce choc des savoirs pour la rentrée prochaine, quitte à faire appel à des enseignant·es retraité·es et à des professeur·es des écoles pour assurer les heures nécessaires dans les collèges concernés. Lors de son audition par la commission de la culture et de l’éducation au Sénat, que l’on peut retrouver à ce lien, l’actuelle ministre de l’Éducation nationale a en effet reconnu qu’il manquait des postes d’enseignant·es pour les « groupes de niveau » en mathématiques et en français au collège. Si elle a évoqué le recrutement de contractuel·les, elle a aussi affirmé vouloir faire appel à des enseignant·es à la retraite. Cette ligne de conduite est confirmée et précisée dans une lettre adressée le 28 mars dernier aux recteurs et rectrices, ainsi que dans un « plan de préparation RH de la rentrée 2024 », que l’on peut retrouver sur le site du Café pédagogique. Dans ces documents, la direction générale des ressources humaines du ministère de l’Éducation nationale invite cette fois les recteurs et rectrices à « favoriser le recours aux professeurs des écoles pour l’enseignement des lettres et mathématiques en 6e et 5e dans le cadre de la mise en place des groupes », et y fait pour la première fois de manière explicite un appel du pied très tentant aux enseignant·es à la retraite. Une nouvelle campagne de détachement sera lancée en avril. Il semblerait que, par manque de moyens ou par choix, le ministère de l’Éducation nationale ait décidé de flouter peu à peu la distinction entre le premier et le second degré, ainsi qu’entre fonctionnaires et contractuel·les… Encore une affaire à suivre de près !

Parité

Alors que nombre de voix continuent à pointer du doigt le manque flagrant de jeunes filles dans les études de mathématiques et d’informatique, et à l’heure où nombre d’élèves de seconde peinent encore à trouver un stage pour le mois de juin, le journal Sud Ouest nous apprend que l’université de Bordeaux a accueilli, du 15 au 19 avril 2024, 64 élèves volontaires de troisième et de seconde pour leur permettre de découvrir les métiers des mathématiques et de l’informatique. C’est la cinquième fois que ce dispositif, intitulé « Moi Informaticienne. Moi Mathématicienne », est mis en place, et l’on espère que le souhait, émis par l’informaticien bordelais Marc Zeitoun, d’arriver « à avoir un tiers de filles dans les amphithéâtres » d’ici à la fin de sa carrière, sera réalisé avant qu’il ne prenne sa retraite. À titre comparatif, il affirme que « parfois, dans une classe de 30 élèves, [il a] zéro fille » : la marge de manœuvre est donc large… car comme le rappelle Aquitaine on line, le pourcentage de femmes dans les filières scientifiques et techniques n’augmente que bien peu ces dernières années, lorsqu’il ne diminue pas. Selon les derniers chiffres du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, les mathématiques sont la seule discipline scientifique pour laquelle le pourcentage de femmes en master a BAISSÉ entre 2011-2012 et 2021-2022. Il y a donc du pain sur la planche !

Logo femmes et mathématiques

De son côté, l’association Femmes et Mathématiques poursuit l’organisation de speed-meetings en ligne à destination des lycéennes francophones. Comme nous le rappelle cet article du Café pédagogique, chaque premier mercredi du mois (d’octobre à mai) permet à de petits groupes de lycéennes (sur inscription gratuite à cette adresse) de rencontrer en ligne 5 femmes scientifiques (bénévoles). Au programme : une heure et demie d’échanges sur leurs métiers, leurs parcours et leurs vies, suivie pour celles qui le souhaitent de la mise en place d’un accompagnement à plus long terme par une marraine.

Logo APMEP

Les lycéennes nordistes ne sont quant à elles pas en reste, grâce au travail de l’antenne régionale de Lille de l’APMEP (Association des Professeur·es de mathématiques de l’Enseignement Public), qui a organisé la première édition de son stage « Les fourmis » du 22 au 26 avril dernier à l’Université de Lille. Ces petites sœurs des Cigales marseillaises, des Cigognes lorraines, des Marmottes suisses et des Mouettes savantes bretonnes ont eu les honneurs (amplement mérités) de la presse régionale, qu’il s’agisse d’un reportage télévisé le 25 avril sur France 3 Hauts de France, d’une mention sur Radio France Bleu Nord dans la matinale du 27 avril, ou encore d’un long article du blogueur Mattéo Ferrux. À noter qu’on les retrouvera prochainement dans le podcast Tête-à-tête chercheuses de Nathalie Ayi, à la suite d’une séance enregistrée en direct lors de cette semaine de stage : le résultat promet d’être dynamique et entraînant !

Et aussi, ce mois-ci...

  • Le quatrième épisode de la saison 2 de « Rapémathiques » est sorti : au programme, les tables de multiplication ! Pour en savoir plus, vous pouvez écouter le prof A’Rieka, à l’origine de ce projet, au micro d’Olivier Delacroix durant la libre antenne d’Europe 1

À l’honneur

Prix D’Alembert et Prix Jacqueline Ferrand 2024

Tous les deux ans, la Société Mathématique de France décerne deux prix récompensant des activités mathématiques à destination du grand public : le prix d’Alembert, pour ce qui relève des activités de diffusion des mathématiques, et le prix Jacqueline-Ferrand, pour ce qui relève des innovations pédagogiques.

L’édition 2024, dont le jury s’est réuni le 04 avril dernier, a décerné :

  • le prix d’Alembert 2024 à la Compagnie Terraquée, pour « ses spectacles à sujets mathématiques, pour son implication dans les activités de formation pour les enseignant·es comme pour les étudiant·es ainsi que pour l’organisation du festival Math en Ville qui crée une importante dynamique locale à partir de leurs activités » ;
  • le prix Jacqueline-Ferrand à la mallette pédagogique Cormécouli, « développée conjointement par des personnes de différents horizons apportant des compétences mathématiques, historiques et pédagogiques ».
    Notons que le jury a par ailleurs souhaité distinguer deux candidatures supplémentaires, en adressant ses « félicitations et encouragements au jeune podcast “Tête-à-tête Chercheuse(s)” », entièrement porté par notre collègue Nathalie Ayi, et en attribuant un « coup de cœur à la première saison de l’émission “La grande aventure des mathématiques” de Cassia Sakarovitch et Gwenael Mulsant ».

La Mallette Cormécouli, lauréate du prix Jaqueline-Ferrand 2024

Nous adressons nos chaleureuses félicitations aux lauréat·es et aux nominé·es, et nous ne pouvons que vous encourager à découvrir leurs productions si vous ne les connaissez pas encore ! Le communiqué officiel des résultats est quant à lui disponible en cliquant ici.

 

Logo ERC

Les résultats de l’appel à projets européens ERC Advanced Grant 2023, à destination des chercheurs et chercheuses confirmées toutes disciplines confondues, ont été publiés le 11 avril dernier par le Conseil Européen de la Recherche (ERC, pour European Research Council) et l’INSMI (institut du CNRS en charge de la recherche mathématique française) est fier d’annoncer qu’« En mathématiques, cinq projets français sont récompensés. » Afin de pouvoir mesurer l’impact de cette annonce, précisons que sur les 255 lauréat·es de cette édition 2023 de l’un des financements « parmi les plus prestigieux et compétitifs en Europe » selon l’ERC lui-même, seuls 10 d’entre eux portent un projet de recherche relevant des mathématiques. Précisons aussi, afin d’être totalement équitables, que quatre des cinq laboratoires d’accueil de ces projets sont situés en région parisienne, le cinquième étant… à l’ENS Lyon. Mais ne boudons pas notre plaisir, et adressons donc nos plus chaleureuses félicitations pour leur réussite à :

  • Giovanni Forni, chercheur au Laboratoire Analyse-Géométrie-Modélisation (CY Cergy Paris Université), pour son projet Beyond Renormalization in Parabolic Dynamics (BRen) ;
  • Emmanuel Grenier, professeur des universités membre de l’Unité de Mathématiques Pures et Appliquées (ENS Lyon), pour son projet Prandtl ;
  • Gabriel Peyré, directeur de recherche CNRS au Département de mathématiques et applications (ENS Paris), pour son projet Wasserstein FLOW Learning for multi-Omics (WOLF) ;
  • Jérémie Szeftel, directeur de recherche CNRS au Laboratoire Jacques-Louis Lions (Sorbonne Université), pour son projet Black Hole Stability (BlaHst) ;
  • Anton Zorich, professeur des universités membre de l’Institut Mathématique de Jussieu-Paris Rive Gauche (Université Paris-Cité), pour son projet Phénomènes d’universalité en géométrie et dynamique des espaces de modules (UniGeoDyM).

Et aussi, ce mois-ci...

  • Nous avons appris avec tristesse la disparition au début de ce mois de Roger Antonsen, mathématicien et illustrateur mathématique de talent, des suites de maladie. Roger était notamment l’un des membres de l’équipe internationale Illustrating maths, et l’auteur d’un TED très intéressant sur l’importance des mathématiques pour comprendre le monde dans lequel nous vivons.
  • Dans sa lettre d’information mensuelle, l’INSMI présente un portrait d’Elise Janvresse, professeure des universités au LAMFA (Université de Picardie Jules Verne) et actuelle Directrice Adjointe Scientifique en charge de la diffusion et de la médiation scientifique.
  • Le scientifique israélien Avi Wigderson est le lauréat 2023 du prix Turing.

Diffusion

Les initiatives pour promouvoir la recherche au sein de jeunes se multiplient

Chaque année, l’association MATh.en.JEANS propose à des élèves du secondaire de découvrir la recherche en mathématiques en travaillant pendant plusieurs mois sur des projets proposés par des mathématicien·nes. Le mois d’avril est alors l’occasion pour nombre d’entre eux de présenter leurs travaux devant leurs collègues d’autres établissements de la région, à l’occasion de congrès organisés par l’association en France et ailleurs.

 

L’affiche des congrès Maths en Jeans 2024

Ainsi, 380 élèves du secondaire venant de France, de Belgique et du Luxembourg, se sont réunis du 11 au 13 avril dernier à Esch-sur-Alzette (Luxembourg), afin de présenter le fruit de leurs recherches devant les autres participant⋅es, leurs professeur⋅es ainsi que différent⋅es mathématicien·nes. Cet événement a été couvert par de nombreux médias, comme (L’essentiel ou Le Quotidien indépendant Luxembourgeois. Dans la Somme (80), ce sont 12 élèves du collège du Marquenterre qui ont pu participer cette année à ce projet🔒.

Les enseignant·es de mathématiques ne sont pas en reste, puisque les laboratoires de mathématiques qui leur sont destinés semblent s’implanter fermement dans certains territoires, à l’image du laboratoire de mathématiques du Lycée Lumière, à Luxueil-les-Bains (Franche-Comté), qui fête ce mois-ci ses 5 ans d’existence. 🔒

Alan Turing

Les mathématiques au théâtre grâce à Turing Dans « La machine de Turing », pièce de théâtre produite par le Théâtre du Rideau vert, Benoît McGinnis incarne Alan Turing et présente le mathématicien britannique comme « le père de l’ordinateur ».

Cette pièce expose les réalisations et les défis personnels de Turing, et explore notamment l’impact de son travail pendant la Deuxième Guerre mondiale, ainsi que les difficultés qu’il a rencontrées tout au long de sa vie en raison de son homosexualité. McGinnis se dit fasciné par la philosophie et l’intelligence novatrice de Turing. Le rôle qu’il tient ici lui permet donc d’utiliser sa sensibilité pour souligner l’humanité du personnage, s’appuyant pour ce faire sur des témoignages, et tenter de mieux le comprendre. Son objectif est de susciter la curiosité du public pour la vie et le travail de Turing, en montrant au plus grand nombre à quel point cette figure historique peut être accessible et captivante.

Cédric Villani à Porto-Vecchio À l’occasion de sa venue au forum des mathématiques de Porto-Vecchio le 23 avril dernier, Cédric Villani (encore lui) s’est entretenu avec les journalistes de France 3 Corse-du-Sud. Ayant à cœur de « soutenir l’énergie là où elle se manifeste », justifiant ainsi sa participation à cet événement, il nous rappelle que pour lui, « les sciences mathématiques, comme les autres sciences, c’est avant tout une affaire d’enthousiasme, d’émotions, de culture, d’activités qui se transmet. » Partager ensemble de beaux moments mathématiques, une solution au monde de solitude qu’il évoquait une semaine plus tôt (cf « Vie de la Recherche ») ? C’est bien possible après tout, et nous nous en réjouirions volontiers !

Et aussi, ce mois-ci...

  • Les jeunes français⋅es montrent un intérêt croissant pour les maths : Challenges.fr
  • Comment faire aimer les mathématiques aux Français·es selon Amandine Aftalion : Le Point (vidéo)
  • Un rallye géolocalisé « Math-à-la-Cité » pour des élèves de sixième : Le Berry
  • Deux élèves de Mouilleron-le-Captif (Vendée) en lice pour une place dans la sélection nationale d’un concours de jeux mathématiques : Ouest France
  • Une exposition sur Pierre de Fermat par des collégien⋅nes à Jonzac : Sud Ouest
  • Un web-documentaire pour sensibiliser le grand public aux recherches mathématiques contemporaines : Paroles de déchiffreurs
  • Des lycéen⋅nes constituent le jury du prix Tangente, un prix littéraire et mathématique : La Dépêche

Parutions

En librairie :

Le dernier ouvrage de Sylvie Benzoni-Gavage
et les Rulpidons d’Ulysse Lacoste

Objet déjà de plusieurs articles de diffusion des mathématiques (notamment dans Images des Mathématiques ou Pour la Science), le Rulpidon n’en finit pas de dévoiler ses mystères sous nos yeux ébahis. Comme nous l’annoncions dans la revue de presse du mois dernier, Le Rulpidon sous toutes ses coutures – une aventure mathématique et artistique de Sylvie Benzoni-Gavage est arrivé en librairie. Publié dans la collection Quai des Sciences des éditions Dunod, il est préfacé par Arnaud Chéritat. Celui-ci écrit : « Lisez, vous aurez un bel exemple de comment l’esprit humain observe, s’empare et enrichit, chacun à sa façon. Comme l’a fait l’artiste Ulysse Lacoste. Puis la mathématicienne Sylvie Benzoni-Gavage ». Constitué de vingt-quatre chapitres clairement rédigés, de contenus équilibrés entre pistes bleues et pistes rouges, l’ouvrage propose aussi une illustration abondante pour accompagner les nombreuses explications et notes d’accompagnement : tout est fait pour captiver les lecteurs et lectrices, et leur donner envie de poursuivre jusqu’au bout cette « aventure mathématique et artistique », selon le titre même du livre. L’autrice espère ainsi transmettre « [s]on goût pour la topologie et surtout éclairer la démarche mathématique, qui devrait être plus largement partagée ». Elle transmet tout simplement, avec un immense talent, sa passion pour les mathématiques !

En kiosque :

Jean-Sébastien Bach

La une du numéro 559 de Pour la Science, à paraître au mois de mai, fait la part belle aux cités perdues en Amazonie, au piémont des Andes, où une civilisation avancée aurait vécu il y a près de 3000 ans. Stéphen Rostain, auteur de cet article et « l’un des meilleurs connaisseurs de l’archéologie amazonienne », nous raconte la « découverte progressive, au piémont des Andes, d’une civilisation agraire urbanisée dont la population se comptait en dizaines de milliers, sinon plus ». Si le sujet vous intéresse, notez qu’il a également co-signé, en janvier dernier, un article dans la revue Science auquel de nombreux médias ont fait écho, et que le journal du CNRS lui a consacré un entretien. Ce numéro propose par ailleurs, comme à l’accoutumée, un joli panel de questions abordant tous les domaines scientifiques ou éthiques, et nous régale de son rendez-vous mensuel avec Jean-Paul Delahaye. Celui-ci nous invite cette fois à (re)découvrir l’infinie finesse des fractales carrées : commençant par le tapis de Sierpiński, « l’une des plus élémentaires figures fractales », datée de 1916, il explore ensuite d’autres structures et nous fait part de développements récents du sujet. Cet article montre bien comment, selon les mots de son auteur, « l’imagination mathématique s’est affinée en concevant les fractales, qui par ailleurs posent une multitude des problèmes amusants et intrigants ».

Dans un autre domaine, Charlotte Mauger invite les lecteurs et lectrices de Science et Vie à découvrir les secrets mathématiques de Bach. Selon elle, « L’œuvre de Bach est complexe, riche, mais le musicien a su user de certaines structures pour la rendre accessible au public ». Son article, agréable à lire, s’appuie sur des travaux récents de Suman Kulkarni et al. (voir par exemple ArXiv ou Physical Review Research), dont les résultats avaient déjà été remarqués par les rédactions du Scientific American, de Radio Classique ou encore de Science et Avenir. Si les discussions sur la musique très mathématique de Jean-Sébastien Bach sont anciennes, la nouveauté vient ici de l’approche proposée par cette équipe de physicien·nes, à la croisée de la science des réseaux, de la théorie de l’information et de la physique statistique. De quoi envisager l’étude d’autres corpus musicaux sous le même angle ?

Tony Hawk en 2012
Il a inventé une cinquantaine de figures du skateboard

Tandis que nous sommes à moins de 90 jours du lancement des Jeux olympiques 2024, le numéro d’avril du magazine Tangente consacre tout un dossier (mis en avant sur sa première de couverture) aux mathématiques des Jeux olympiques. La rédaction rappelle que les mathématiques occupent une place de plus en plus importante dans le monde du sport, « qu’il s’agisse d’aider les athlètes à améliorer leurs performances individuelles et collectives, de comparer des résultats de disciplines différentes ou de construire des terrains de jeux ». Ce n’est certainement pas Amandine Aftalion, autrice de Pourquoi est-on penché dans les virages ? (dont nous avons parlé dans notre revue de presse de septembre 2023), qui le démentira ! Différents exemples, choisis parmi les 329 disciplines représentées au programme de l’édition 2024 des J.O., éclairent de manière pertinente cette hausse de l’importance de notre discipline dans la pratique sportive professionnelle. Skateboard (ou plutôt, glisse urbaine), football ou encore athlétisme sont au menu de ce dossier riche en informations.

Toujours dans ce magazine, un second dossier est consacré à Diophante et à ses travaux. Au programme : un bel article sur les équations diophantiennes qui « ont donné lieu à une vaste littérature reliant de grands noms tels que Pythagore, Euclide, Fermat, Bézout, Bachet de Mézirac, Lagrange, sans oublier, parmi tant d’autres, Hypatie et Sophie Germain », assorti de trois autres articles assez consistants. Cela peut sembler peu pour couvrir plus de 2000 ans de mathématiques mais, avec des textes clairs et agréablement illustrés, c’est déjà suffisant pour donner envie à celles et ceux qui le souhaitent d’aller plus loin, ou pour découvrir quelques ressources intéressantes, à l’image du site éponyme de récréations mathématiques.

La flamme mathématique

Quant à la quatrième de couverture de ce numéro d’Avril, il s’agit tout simplement de l’affiche du vingt-cinquième salon Culture et Jeux Mathématiques, avec la « Flamme Mathématique », qui se tiendra à Paris du 23 au 26 mai 2024. C’est l’un des temps forts annuels de la diffusion des mathématiques en France, « une grande fête des mathématiques, une manifestation originale et unique qui souhaite moderniser l’image des mathématiques, prouver que ces dernières sont universelles, présentes partout, innovantes, fascinantes et étonnantes » selon le site de la ville de Paris. Rappelons que ce salon a été créé, comme le magazine Tangente ou les éditions Pole, par Gilles Cohen, professeur de mathématiques soudainement décédé en novembre 2023, à qui nous rendions hommage dans notre dernière revue de presse de l’année dernière).

Et aussi, ce mois-ci...

  • Parution le 11 avril dernier du dernier ouvrage de Pascal Nordmann : Samuel Jones. Monologue. Le résumé se présente comme suit : Samuel Jones est un mathématicien auréolé du Prix de Stockholm reçu des mains du roi de Suède, mais l’a-t-il vraiment reçu ? Et que fait-il en Angleterre à parler devant un auditoire dans un atelier de la mémoire ? Samuel Jones prend la parole et s’explique…
  • L’INSMI lance ce mois-ci une chronique mensuelle dédiée aux dernières actualités de la science ouverte en lien avec les mathématiques. Selon Christophe Delaunay, directeur adjoint scientifique de l’INSMI en charge notamment des unités d’appui, des bibliothèques et de la parité, « La science ouverte est un mouvement en pleine expansion, dont l’objectif est de rendre accessible à toutes et à tous les travaux des recherches scientifiques dans ces divers aspects : articles, données, logiciels. Cette chronique régulière sur la science ouverte vise à expliciter les différents dispositifs et de mettre en lumière l’actualité autour de ce mouvement. »

Histoire des mathématiques

Al-Kindi sur un timbre irakien (1962)

Dans le numéro d’Avril de Philosophie magazine, un article est consacré à la conférence donnée à l’Institut du monde arabe par Emma Gannagé, directrice du département de philosophie de l’université américaine de Beyrouth, dans le cadre de Falsafa : les rendez-vous de la philosophie arabe. Intitulée « Pourquoi les mathématiques sont-elles nécessaires à la perfection humaine ? », elle porte sur les fondamentaux de la pensée du philosophe et mathématicien Al-Kindi (801-873). Bien qu’Emma Gannagé s’intéresse principalement à la philosophie d’Al-Kindi, développée à partir de ses lectures des philosophes grecs dont il prendra rapidement son indépendance, les mathématiques ne sont vraiment pas très loin ! En effet, comme le précise la spécialiste, « Al-Kindi a conscience d’être le premier à transmettre à sa communauté la philosophie et les sciences grecques en arabe. Mais il n’est pas qu’un simple passeur d’idées, et cet éclectisme est la marque de son originalité ». Selon elle, « on sent chez lui l’influence des mathématiques, même quand il s’agit de philosopher », et « Al-Kindi est un mathématicien qui aurait écrit plus d’une soixantaine de traités sur les mathématiques. Il a commenté, entre autres, les Éléments d’Euclide, dont il retient la méthode axiomatique de démonstration y compris dans ses traités philosophiques, tout en composant par ailleurs un commentaire critique de son Optique. Il est aussi influencé par l’Introduction à l’arithmétique de Nicomaque de Gérase, dont on retrouve des traces dans son traité Sur le nombre des livres d’Aristote et de ce qui est nécessaire pour l’acquisition de la philosophie, où il explique que si quelqu’un ignore les mathématiques, il ne pourra pas comprendre les livres d’Aristote, même s’il passe toute sa vie à les étudier » ! L’article de Philosophie magazine, partenaire de ce cycle de conférences, est de lecture très abordable, et permet de découvrir agréablement un sujet peu connu. Ainsi, les « 6 minutes » de lecture données à titre indicatif ne seront vraiment pas du temps perdu, et vous donneront peut-être envie d’en savoir plus sur ce sujet à la croisée des mathématiques et de la philosophie.

Hypatie, par Raphaël.
Raphaël, L’École d’Athènes, 1509, fresque (extrait), Stanza della Segnatura, Cité du Vatican. Hypatie serait représentée debout, dans un grand manteau blanc.

La mathématicienne, astronome et philosophe néoplatonicienne Hypatie d’Alexandrie (vers 350-415) est mise à l’honneur ce mois-ci par le magazine National Geographic et par Europe 1, qui reviennent l’un et l’autre sur sa fin tragique. Hypatie est l’une des rares femmes scientifiques de l’Antiquité que l’on connait. Réputée en tant que mathématicienne, notamment pour ses travaux arithmétiques, suivant ceux de Diophante, ou pour ses travaux géométriques sur les sections coniques d’Apollonius de Perge, elle l’est aussi pour ses connaissances et compétences en astronomie, en particulier pour ce qui concerne la construction d’instruments. Il semblerait que grâce à son père Théon, elle ait pu bénéficier d’une formation aux lettres et aux sciences, ce qui n’était généralement pas le cas de ses contemporaines. L’article du National Geographic présente explicitement la mort tragique d’Hypatie, dans un contexte conflictuel entre chrétiens et païens (encore majoritaires), comme la victime d’un atroce assassinat « plutôt que comme un acte spontané par une foule assoiffé de sang », et fournit une description des suspects, du mobile et du complot. C’est aussi sur cette tragédie que revient Virginie Girod dans le cadre de son podcast Au cœur de l’histoire, diffusé sur Europe 1. Hypatie, « brillante philosophe, [qui] instruit l’élite orientale dans un empire Romain sur le déclin », est ici présentée comme la « victime impuissante d’une bande de fanatiques religieux ». Une fois passées les premières minutes de l’émission, qui peuvent choquer une partie de l’auditoire (détails du démembrement d’Hypatie et quelques autres anecdotes du même tonneau au programme), on découvre un épisode intelligent et fort agréable à écouter, dans lequel il s’agit de comprendre qui est Hypatie, et comment elle s’est créé une place comme femme de sciences, et notamment comme mathématicienne, dans l’Alexandrie antique.

Copie d’écran de la vidéo « entre cuisine et équations : la vie secrète de Marjorie Rice ! »

Pour terminer cette rubrique, nous retournons au XXe siècle grâce à l’autodidacte Marjorie Rice, à qui Astronogeek et Mathador font honneur ce mois-ci. Si le choix des titres de ces épisodes peut prêter à (sou)rire jaune, il serait dommage de s’y arrêter, car le contenu en est qualitatif, et permet de découvrir comment, à partir des années 1970, une jeune mère au foyer californienne amatrice de mathématiques a découvert pas moins de quatre nouveaux types de pavages du plan par des pentagones. Ces deux vidéos, d’un petit quart d’heure chacune, reviennent en détail sur la vie de Marjorie Rice, et notamment sur la manière dont elle a pu renouer avec ses amours mathématiques de jeunesse, ainsi que sur sa correspondance avec la mathématicienne Doris Schattschneider. Elles expliquent aussi de manière accessible et agréable l’histoire des pavages pentagonaux avant, puis après les contributions de Marjorie Rice. On regrettera peut-être que les premières minutes de la seconde vidéo ne soient essentiellement qu’une reprise du contenu de la première, mais cela ne suffit pas à gâcher le plaisir de (re)découvrir cette belle histoire.

Pour finir

Bulles au carré 2024 : à vous de voter !

Maintenant que toutes les participations à la 13e édition du concours Bulles au carré sont arrivées dans nos locaux, c’est à vous de voter pour votre planche préférée ! Les 61 contributions candidates pour le prix 2024 sont accessibles à partir de l’article rédigé à cette occasion par Nadège Arnaud (dont le travail colossal permet à ce concours de vivre année après année), et nous n’attendons désormais que l’expression de vos voix par le biais du formulaire adapté pour établir quelles sont les 10 œuvres qui passeront le premier tour du vote des internautes. La date limite de cette première étape est le 26 mai : il serait dommage de ne pas prendre le temps de sélectionner vos 5 BD préférées sur le thème de cette année, « Maths et sport » !

Les septièmes Journées Parité de la communauté mathématique française auront lieu les 1er et 2 juillet 2024 à Marseille, sur le Campus Saint-Charles, et les inscriptions (gratuites) pour cet événement sont maintenant ouvertes. Comme il ne pourra y avoir que 100 participant·es au plus, limitation du nombre de personnes pouvant être accueillies sur place oblige, n’attendez pas trop avant de remplir le formulaire d’inscription disponible à cette adresse.

Enfin, pour celles et ceux qui attendent depuis un mois de savoir si la pêche a été bonne, il nous faut avouer que Marc Moyon n’entrera pas au comité Miss France, qu’Aurélien Alvarez n’est a priori pas (pour l’instant…) sur les listes du ministère de l’Éducation nationale, et que, LEAN ou pas LEAN, aucun doute n’a encore été formulé à ce jour sur la complétude et la validité de la preuve du grand théorème de Fermat donnée par Wiles et Taylor-Wiles. Alors, la récolte a-t-elle été bonne ? Si vous pensiez avoir trouvé d’autres poissons, n’hésitez pas à nous en faire part, nous vous lirons avec plaisir ! Et encore une fois, n’hésitez pas à nous communiquer vos retours sur cette deuxième édition de la revue de presse sous son nouveau format.

Post-scriptum

L’équipe de la revue de presse a grand besoin de renfort ! Si vous voulez participer, n’hésitez pas à nous contacter. Éplucher le web à la recherche de divers faits mathématiques, vulgariser les derniers résultats pour la rubrique Recherche, tenir le compte des annonces et contre-annonces des responsables politiques pour la rubrique Enseignement, relever les évènements mathématiques auxquels ont participé des classes ou le grand public pour la rubrique Diffusion, etc. Il y a du boulot et il y en a pour tous les goûts !

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Par exemple, on pourra écrire que sont les deux solutions complexes de l’équation .

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