Utopiales

Publié le 4 novembre 2019

Bref retour du festival international de science-fiction de Nantes 2019

Aujourd’hui se termine le festival international de science-fiction de Nantes, les Utopiales, dont le thème était « Coder, Décoder ». Son président, Roland Lehoucq, est astrophysicien et aime à se confronter à des questions qui vont de la physique de Superman à celle d’Avatar… sans perdre de vue que ces questions sont reliées à des problèmes de société.

Le festival est un lieu d’échange et de rencontres entre plusieurs publics a priori séparés qui n’auraient aucune raison apparente d’aller écouter des conférences scientifiques, des conférences de littérature, sur la BD, d’aller voir des expos de l’INSERM, du CEA, de BD ou d’aller jouer à des jeux vidéos, des jeux de rôle ou autres jeux de plateau. Car les Utopiales c’est un peu tout ça à la fois et c’est ce qui fait que c’est plein. On y rencontre des personnages de science-fiction (avec une préférence pour le steampunk, cité vernienne oblige) ou de manga (concours de cosplay oblige), ainsi que toutes sortes de personnes curieuses habillées de façon plus commune, quoique très variée.

J’ai assisté à plusieurs conférences et tables rondes, et j’ai été marqué par les interventions d’Ada Palmer, spécialiste de la philosophie et de l’histoire des idées de la Renaissance, auteure de Too Like The Lightning (Trop semblable à l’éclair), premier d’une tétralogie de romans dont le style est inspiré de Diderot et d’Homère (notamment Jacques le fataliste et son maître & l’Iliade). La question du genre y est très présente. Elle est également intervenue lors d’une table ronde sur l’invisibilisation des femmes (en science et ailleurs). Son idée force est que nous sommes, collectivement, très mauvais pour raconter des histoires à plusieurs héros ou plusieurs voix et qu’il y a une volonté de simplification à l’oeuvre. Elle cite l’exemple de Platon dont il est plus facile de dire qu’il est l’élève de Socrate que de rajouter une seconde filiation, en nommant sa mère et la tradition Pythagoricienne.

Elle a ainsi expliqué qu’à la fin du Moyen-Âge et à la Renaissance, une encyclopédie recensant les philosophes antiques listait 120 noms dont 40 femmes, alors que la même encyclopédie revue et corrigée par le XIXe siècle a évacué toutes les femmes. Elle argue que ce processus d’invisibilisation correspond à des époques et qu’il y a des mouvements de balancier. Je ne sais pas bien ce qu’il en est du XXe et du XXIe siècle… mais Ada Palmer semblait indiquer que la volonté de réduire logiquement les données au strict minimum, de trouver des lois et de fonder la science sur un nombre minimal de préceptes va de pair avec cet effacement de certaines figures scientifiques, et que parmi les victimes on trouve les femmes scientifiques. Il y a sans doute beaucoup de choses à préciser et à creuser dans cette assertion, mais je la trouve très intéressante. Peut-être les archives des diverses académies pourraient-elles étayer ou infirmer cette thèse ?

En tout cas la table ronde a été l’occasion d’une interro surprise lancée par Sonia Zannad (de l’excellent site The Conversation) et secondée par Sara Doke (autrice, et traductrice notamment de George R. R. Martin) : qui connaissait Lise Meitner, Marthe Gauthier, Hedy Lamarr… et tant d’autres ? Bon, pas grand monde en fait. Ce qui n’est pas sans rappeler les grandes absentes des nouveaux programmes du lycée  1J’ai regroupé les noms cités dans ces programmes (sauf erreurs ou omissions de ma part) : on pourra à loisir y compter (sur les doigts d’une main), le nombre de femmes ! Je les ai indiquées en gras et j’ai rajouté les prénoms que je connaissais entre parenthèses : en général il n’y a pas de prénom dans le programme (sauf pour deux femmes sur trois, ce qui semble habituel). Parfois j’ai extrapolé le nom à partir de la méthode, formule ou loi… 2Maths – Seconde générale Diophante, Euclide, (Muhammad) Al-Khwârizmî, (Leonardo) Fibonacci, (François) Viète, (Pierre de) Fermat, (René) Descartes, (Gustav Lejeune) Dirichlet, (Isaac) Newton, (Gottfried) Leibniz, (Leonhard) Euler, (Antoine Gombaud, dit Chevalier de) Méré, (Blaise) Pascal, (Christiaan) Huygens, duc de Toscane. 3Enseignement scientifique Première générale (Joseph von) Fraunhofer, (Hans) Bethe, (Robert) Hooke, (Matthias) Schleiden, (Theodor) Schwann, (Henri) Becquerel, Marie Curie, (Joseph) Stefan, (Ludvig) Boltzmann, (Max) Planck, (Albert) Einstein, (Wilhelm) Wien, Ératosthène, Anaxagore, (Jean-Baptiste) Delambre, (Pierre) Méchain, (Georges-Louis Leclerc de) Buffon, (Charles) Darwin, (William Thomson, dit Lord) Kelvin, (Ernst) Rutherford, (Claude) Ptolémée, (Nicolas) Copernic, (Johannes) Kepler, Tycho Brahe, (Isaac) Newton, Joseph Fourier, Yves Meyer, (Jean) d’Alembert, (Leonhard) Euler, Daniel Bernoulli, Pythagore, (Jean-Sébastien) Bach. Une première version incluait Pierre Boulez et Iannis Xénakis, mais oublait Marie Curie, et il me semble qu’il manque un « n » à Schwann. 4Maths – Première technologique Apparemment ces filières n’ont pas d’intérêts pour l’histoire et les êtres humains derrière les maths… En tout cas aucun nom n’est cité. En spécialité (Physique-Chimie-Mathématiques) on peut trouver quelques noms pour des formules ou méthodes : al-Kashi, Pythagore, Euler, Cauchy. 5Maths – Première générale Ah ben non, il n’y a pas de maths en première générale dans le tronc commun ! 6Spécialité Maths – Première générale Archimède, Héron d’Alexandrie, (Leonardo) Fibonacci, (Nicolas) Oresme, Diophante, (Muhammad) Al-Khwârizmî, (Gottfried) Leibniz, (Isaac) Newton, (Galileo) Galilée, Thalès, (René) Descartes, (Ghiyath) Al-Kashi, (Leonhard) Euler, (Thomas) Bayes, (Augustus) de Moivre, (Pierre-Simon) Laplace, (Blaise) Pascal, (Christiaan) Huygens, (Jacob) Bernoulli, (Jean) d’Alembert, (Johann) König. 7Enseignement scientifique – Terminale générale (Albert) Einstein, (Michael) Faraday, (James) Maxwell, (James) Joule, (Thomas) Malthus, (Adolphe) Quetelet, (Pierre François) Verhulst, (Ignace) Semmelweis, (Louis) Pasteur, (Alexander) Fleming, (William) Jenner, (Robert) Koch, (Wilhelm) Röntgen, (Joseph) Jacquard, (Charles) Babbage, (Ada) Lovelace, (Alan) Turing, (John) von Neumann, Godfrey (Hardy), (Wilhelm) Weinberg, (Thomas) Bayes. Le préambule insiste sur la place des femmes dans l’histoire des sciences ! 8Maths – Terminale technologique Apparemment ces filières n’ont pas d’intérêts pour l’histoire et les êtres humains derrière les maths… En tout cas j’ai n’ai vu de cité que (Blaise) Pascal. En spécialité (Physique-Chimie-Mathématiques) on peut trouver quelques noms pour des formules ou méthodes : Chasles, Euler, Neper, Nernst. 9Maths – Terminale générale Non, rien… 10Spécialité Maths – Terminale générale (Blaise) Pascal, (Giuseppe) Peano, (Abu Bakr) al-Karaji, (Ibn Yahya) al-Samaw’al, (Leonardo) Fibonacci, (Francesco) Maurolico, (Edouard) Lucas, (Henri) Delannoy, (Charles-Ange) Laisant, (Isaac) Newton, (Gottfried) Leibniz, (William) Hamilton, (Hermann) Grassmann, (James) Maxwell, (Josiah) Gibbs, (Oliver) Heaviside, (Jacob) Bernoulli, Liu Hui, Ibn al-Haytham (Alhazen), Grégoire de Saint-Vincent, (Galileo) Galilée, (Bonaventura) Cavalieri, (Claude) Ptolémée, (Ghiyath) Al-Kashi, (Henry) Briggs, (Pierre de) Fermat, (Christiaan) Huygens, (Isaac) Barrow, (Augustin-Louis) Cauchy, (Leonhard) Euler, (Jean) d’Alembert, (Alexis) Clairaut, (Vincenzo) Riccati, Héron (d’Alexandrie), (Max O.) Lorenz, (William) Brouncker, (Irénée-Jules) Bienaymé, (Pafnouti) Tchebychev, (Joseph-Louis) Lagrange, (Pierre-Simon) Laplace, (Carl) Gauss, (Adrien-Marie) Legendre, (Adolphe) Quetelet, (Francis) Galton, (Siméon-Denis) Poisson. Il me semble que le nom d’al-Samaw’al n’est pas as-Samaw’al. 11Option Maths Expertes – Terminale générale (Niccolo) Tartaglia, (Gerolamo) Cardan, Raphaël (Bombelli), (René) Descartes, (Albert) Girard, (Carl) Gauss, (Jean-Robert) Argand, (Claude-Victor ?) Mourey, Euclide, (Felix) Klein, (Benoît) Mandelbrojt, (Gaston) Julia, (Leonhard) Euler, (Augustus) de Moivre, Nicomaque de Gérase, Théon de Smyrne, Diophante, (Claude-Gaspard) Bachet, (Étienne) Bézout, (Charles-François) Sturm, (Pierre de) Fermat, (Joseph-Louis) Lagrange, (Gustav Lejeune) Dirichlet, (Marin) Mersenne, (Robert D.) Carmichael, Sophie Germain, Ératosthène, (Blaise de) Vigenère, (Lester S.) Hill, (Ronald) R(ivest), (Adi) S(hamir), (Leonard) A(dleman), Pythagore, (John) Pell, (Andreï) Markov, (Arthur) Cayley, (Paul) Ehrenfest, (Larry) Page. 12Option Maths Complémentaires – Terminale générale (Isaac) Newton, (Thomas) Malthus, (Pierre François) Verhulst, (Leonhard) Euler, (John) Neper, Archimède, (Henry) Briggs, (William) Brouncker, Grégoire de Saint-Vincent, (Max O.) Lorenz, (Corrado) Gini, (Thomas) Bayes, Jacob Bernoulli, (Georg) Ohm, (Gordon) Moore, Liu Hui, (Bonaventura) Cavalieri, (Isaac) Newton, (Gottfried) Leibniz, (Jean) d’Alembert, (Joseph-Louis) Lagrange, (Augustin-Louis) Cauchy, (Alexis) Clairaut, (Vincenzo) Riccati, (Michel) Chasles, (Pierre-Simon) Laplace, (Carl) Gauss, (Adrien-Marie) Legendre, (Adolphe) Quetelet, (Fracnis) Galton, (Karl) Pearson, (William Gosset) Student, (Ronald) Ficher, (Blaise) Pascal.. On pourra trouver ces programmes sur la page de l’IGEN de maths. Il est difficile de comprendre pourquoi l’institution continue de se demander pourquoi il y a si peu de jeunes femmes qui s’orientent vers une carrière scientifique au vu de la représentation (quasi-)exclusivement masculine qu’on fait de la science (et particulièrement des maths).

Je reviendrai, j’espère, dans un prochain billet, sur la finalité des programmes, du lycée et son lien avec l’enseignement dit supérieur, et notamment sur les enjeux des choix de spécialité. Je vais simplement terminer ce billet par une remarque et une question :

  • les options du lycée sont payantes (chaque élève qui choisit une option coûte de l’argent au lycée, qui ne peut donc se permettre de toutes les offrir) : de nombreux établissements devront faire des choix, puis voir des profs partir faute d’avoir des heures à assurer, puis des options se fermer faute de profs dans l’établissement. Dans mon établissement, grand lycée napoléonien, la question d’offrir ou non « Maths complémentaires » ne s’est jamais posée. Par contre celle d’offrir « Maths expertes » se pose ! On n’en serait pas là si les maths étaient dans le tronc commun. Je développerai plus tard, mais personnellement s’il faut choisir entre « maths complémentaires » et « maths expertes », je choisis sans hésiter les secondes.
  • le big data est une volonté d’embrasser la complexité. On peut le résumer en disant qu’on cherche des façons de classer des objets vivants dans un espace à une quasi-infinité de dimensions. Ce classement est une forme de réduction de la complexité. Si j’en crois les propos d’Ada Palmer, on peut se demander si cela va dans la bonne direction : sommes-nous une fois encore en train de vouloir raconter une histoire avec peu de diversité ? d’effacer certain-e-s d’entre nous ? bref de céder à l’attrait de la simplification ou plutôt, devrais-je sans doute écrire, à la violence de la norme ?

ÉCRIT PAR

François Sauvageot

Professeur - Lycée Alain-René Lesage - Académie de Rennes

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Par exemple, on pourra écrire que sont les deux solutions complexes de l’équation .

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