Début juillet, j’ai accepté une de ces nombreuses invitations amicales qui vous arrivent l’été. Je me suis donc rendu avec ma femme chez Brigitte dans une maison de Marcq-en-Barœul, une petite ville près de Lille.
La chaleur, les journées plus longues que d’habitude, les vacances qui approchent, tous ces éléments font que ces occasions de retrouvailles entre amis sont plus nombreuses que d’habitude. Parfois, j’ai comme l’impression que la sollicitude de nos proches correspond à la peur de ne plus pouvoir se voir après l’été. Certes, cette période estivale n’a pas toujours été sereine en France.
Il m’arrive d’entendre de plus en plus de discours pessimistes, de désespoir sur l’avenir et surtout sur les principaux artisans de ce futur proche : les jeunes. Et pourtant… Pour ouvrir ce débat, j’ai envie de vous raconter en deux mots ce qui m’est arrivé chez cette amie. Une histoire drôle et amusante à la fois. J’espère que ce court récit vous donnera envie de réagir et de nous en envoyer d’autres, aussi curieuses et chargées d’un espoir nécessaire pour avancer dans un monde complexe et très agité.
Un collègue universitaire me faisait remarquer cette semaine que l’humanité a toujours été agitée et que finalement nous ne sommes pas mieux que les hommes préhistoriques. « Pourquoi pas ? », lui ai-je dit. Mais, je lui ai fait remarquer que pendant des milliers d’années nous avons eu la chance d’avoir des centaines et des centaines de penseurs qui auraient pu ou dû nous permettre de vivre aujourd’hui bien ensemble, en paix et heureux…
Probablement, ce n’est qu’un rêve, un rêve et des illusions qui résistent farouchement. Toutefois, il m’arrive de vivre des moments surprenants et inoubliables qui renforcent ces illusions. Ma conviction est qu’un autre monde plus juste et meilleur pour tous est encore possible.
Avant cette invitation chez Brigitte, j’avais déjà vécu des moments inoubliables au Collège Alfred Jennepin de Cousorle, près de Jeumont où est située la Cité des Géométries. Je m’y étais rendu avec mon collègue Aziz sur l’invitation de Nathalie, l’enseignante de mathématiques. Nous avions préparé des activités pour des élèves de quatrième. Nathalie nous avait demandé si les élèves pouvaient nous poser des questions avant notre exposé. Nous étions bien entendu d’accord et nous avons pris le temps de les écouter. Finalement, nous avons passé deux heures à parler de l’infini ! Les questions fusaient de partout, l’une plus surprenante que l’autre. Un élève se demandait par exemple si l’infinité des rayons dans un cercle était plus « grande » que l’infinité des diamètres ! Du bonheur. Ce qui prouve aussi que « l’école n’est pas simplement le lieu où chacun apprend, c’est le lieu où on apprend ensemble » (Philippe Meirieu, interview donnée au Monde le 20 août 2016).
Je reviens à ma soirée chez l’amie Brigitte. Nous étions sept adultes et deux jeunes, Claire et Inès. La première rentre en quatrième et la deuxième en sixième. Ces dernières avaient l’air de bien s’entendre. Inès avait suivi sa grand-mère et Claire l’accompagnait. Les adultes se sont vite lancés dans des conversations… d’adultes ! De ce fait, les deux filles ont demandé à Brigitte des jeux pour les occuper. Elle leur donna un jeu de carte. Il n’avait pas l’air trop tordu ce jeu là mais moins d’une demi-heure plus tard, elles sont revenues près de Brigitte pour lui demander si elle n’avait pas d’autres jeux à leur proposer. Ce fut alors qu’en blaguant je leur dis : « Êtes vous partantes pour des problèmes de mathématiques ? »
La première surprise fut d’entendre un grand « oui » à l’unisson. Bon, il ne me restait qu’à assumer et à démarrer la séance… Les problèmes se sont succédé les uns après les autres. La complicité entre les deux fillettes étant très forte, les solutions aux problèmes arrivaient de plus en plus rapidement. Elles venaient alors me voir pour m’en demander d’autres, de grands sourires à la bouche comme si je leur offrais de très bons gâteaux.
Puisque j’avais du mal à converser avec les invités et mon hôte, les questions posées étaient de plus en plus compliquées. À un moment donné, je tente même « l’exercice de Gauss » : calculer la somme des 100 premiers nombres entiers. Ce fut alors que la fille jusqu’alors la plus « faible » me posa la question qui m’obligea à m’asseoir : « Valerio, sommes-nous obligées de les écrire dans le même ordre, à savoir 1 + 2 + 3 + … + 100 ? ». Je n’en revenais pas. Je disais à ma femme que Gauss avait eu cette même idée d’inverser l’ordre d’écriture et de faire la somme terme à terme. Les amis regardaient avec attention l’évolution de nos conversations.
Au moment de partir, minuit était passé depuis une heure ! Elles étaient déçues de devoir interrompre cette séance de problèmes. Claire et Inès étaient heureuses. Elles se sentaient comme remplies de joie. Et moi aussi. Certes, j’avais consacré très peu de temps à mes amis, mais quel bonheur !
Voilà, en cette rentrée, j’avais envie de partager ce moment et vous demander si vous aviez des témoignages analogues récents ou moins récents. Tout simplement.
10h42
Bonjour,
J’ai déjà remarqué que les enfants sont attentifs et intéressés quand on leur propose des petites expériences mathématiques.
Il y a quelques mois je me trouvais chez des amis qui ont 4 enfants (entre 4 et 8 ans). Les enfants dînaient et pour leur dessert il y avait 3 bananes à partager en 4. Ils étaient prêt à couper chaque banane en 4 (donc 12 coups de couteaux) et prendre chacun un morceau de chaque banane, quand je leur ai proposé de faire le partage d’un seul coup de couteau. Ils n’y croyaient pas trop mais attendaient la solution avec impatience.
J’ai mis les 3 bananes côte à côte et d’un seul coup de couteau j’ai coupé un quart de chaque banane. Il y avait donc 3 fois 3/4 de banane plus 3 fois 1/4 de banane, le partage était fait et les enfants étaient émerveillés. Et en plus ils n’ont pas fait d’histoire parce que les parts n’étaient pas tout à fait égales.
Il faut parler de mathématiques aux enfants, surtout quand ils sont petits.
23h10
Cher Monsieur Hanquez,
Avant de passer au débat suivant, je tenais à vous remercier pour votre témoignage. Il m’a beaucoup touché. Le côté simple et ingénieux à la fois de l’expérience que vous décrivez est remarquable.
Depuis longtemps, je suis convaincu qu’il faudra de plus en plus mélanger à l’enseignement traditionnel des expériences tirées de la vie quotidienne comme la vôtre.
Vous n’avez pas seulement résolu un problème ; vous avez aussi offert à ces quatre enfants la possibilité de savourer un des aspects phares des mathématiques : l’idée qu’en changeant de regard, la solution d’un problème – apparemment insoluble – peut être à portée de main. Il faut se laisser aller et accepter que 3 des ¾ sont d’une sorte et le restant d’une autre.
Et c’est ce côté là aussi que j’ai trouvé intéressant dans votre expérience ; vous avez eu aussi l’audace de la proposer à des enfants.
Il est étonnant de découvrir comment les très jeunes puissent être sensibles au charme des mathématiques.
J’ai eu la chance (?) de vivre un autre moment magique cette été. Cette fois-ci à Naples, sur la place Bellini. Il s’agit d’un lieu très animé, surtout le soir. Plusieurs terrasses, ou cafés, s’offrent à vous, y compris un bar, Intra Moenia, dans lequel sont présentés plusieurs bouquins, aussi l’endroit s’apparente-t-il à un café littéraire.
J’étais donc aussi avec ma femme à la terrasse d’un café-restaurant en face d’Intra Moenia. Un restaurant bio, soit dit au passage. Deux enfants rodaient autour de notre table. Visiblement s’ennuyaient.
J’avais compris qu’un des deux jeunes était le fils de la propriétaire du café et qu’il ne savait pas trop quoi faire
pour occuper son temps. Son copain non plus ; les deux trouvaient le temps long.
Une fois proches de moi, en plaisantant je leur ai proposé de faire de … mathématiques ! On imagine difficilement de faire de telles proposition à deux jeunes inconnus en plein air. Et pourtant, ils ont tout de suite adhéré à l’idée. Il en est suivi un questionnement entre eux et moi, puis, fait incroyable !, ils ont commencé à faire va-et-vient entre la terrasse et l’intérieur du café. J’ai par la suite compris qu’ils faisaient partager à leurs mères les questions que je leur posais.
Voilà. Encore une fois, les mathématiques que l’on dit tant mal aimées, si elles sont vécues de façon simple et directe, peuvent finalement apparaître amusantes.
J’en tire aussi l’idée, de mes expériences comme de la vôtre, qu’il est autant plus agréable faire de mathématiques qu’en gardant son âme d’enfant.
C’est pour ça que je me promène souvent avec un enfant : le petit Valerio.
Merci encore pour votre beau témoignage !
Bien à vous,
Valerio Vassallo