Dans son cursus, tout élève de collège doit faire un stage en entreprise (ou plus généralement dans la « vie active ») d’une durée d’une semaine pendant son année de troisième. Bien que probablement souvent conseillé par ses parents ou ses professeurs, c’est l’élève qui choisit l’endroit où il faut effectuer son stage, et depuis l’année dernière, notre petit laboratoire de mathématiques a déjà été choisi par pas moins de trois collégiens !
Par trois fois, donc, mes collègues et moi-même avons eu le plaisir d’accueillir dans nos locaux un jeune adolescent avec pour mission de présenter notre travail. Bien entendu, il y avait toute une partie consacrée à l’explication sommaire ou méthodique du fonctionnement de la recherche aussi bien à un niveau national (notamment la distinction entre chercheurs et enseignants-chercheurs) que local (par exemple le découpage en équipes dans notre laboratoire), à la description de ce qu’est le travail et la vie au jour le jour du chercheur ou de l’enseignant-chercheur en mathématiques (les publications, les séminaires, les déplacements, etc.), et à la présentation des outils utilisés le plus couramment par le mathématicien (le papier, le stylo, l’ordinateur et la bibliothèque essentiellement), le tout agrémenté d’une visite guidée du bâtiment et d’une invitation quotidienne à notre restaurant universitaire.
Mais, en plus de cela, un peu à l’instar de ce site, nous avions décidé de présenter à ces jeunes gens un panorama de ce qu’est la recherche en mathématiques aujourd’hui, du moins pour ce qui concerne les thématiques représentées à Rennes. C’est toujours à ce moment que les choses se compliquent, surtout, à vrai dire, quand on travaille dans un domaine comme le mien ; en effet, comment énoncer les questions fondamentales de la théorie de Hodge p-adique ou expliquer l’intérêt de la cohomologie log-syntomique à quelqu’un qui vient à peine d’apprendre le théorème de Pythagore ? Si vous n’avez jamais entendu parler de théorie de Hodge p-adique ou de cohomologie log-syntomique (ce qui est probable), ni du théorème de Pythagore (ce qui l’est sans doute un peu moins), dites-vous que l’exercice est à peu près comparable à expliquer dans les détails les problèmes de stabilisation du Concorde à un enfant qui vient juste d’apprendre à plier des avions en papier.
Quoi qu’il en soit, j’ai décidé de relever le défi. Alors bien sûr, je n’ai parlé ni de théorie de Hodge p-adique, ni de cohomologie log-syntomique (ni même simplement syntomique, que voulez-vous), mais j’ai essayé de trouver des questions naturelles reliées plus ou moins à l’arithmétique, qui sont encore étudiées aujourd’hui, ou qui servent de base à certains développements de la recherche actuelle. Mentionnons que j’ai eu la chance à chaque fois d’arriver à trouver quelqu’un qui a accepté de m’aider à animer cette présentation ; en fait, je ne sais pas comment cela a été perçu par notre collégien (s’est-il senti un peu seul face à deux mathématiciens, ou au contraire, était-il content de pouvoir discuter avec deux interlocuteurs ?), mais, de mon strict point de vue, cela était bien plus reposant. Je ne veux pas trop rentrer dans les détails dans ce billet, mais pour donner une idée, voici les thèmes que j’ai décidé d’aborder 1Si vous souhaitez des précisions, vous pouvez toujours les demander dans les commentaires… si vous criez assez fort, peut-être écrirais-je des articles sur la question. :
- (avec Goulwen Fichou) le grand théorème de Fermat
- (avec David Lubicz) les corps finis et p-adiques et leurs applications à la cryptographie
- (avec Sandrine Caruso) les fractions continues et leur apparition dans la nature, et notamment dans la répartition des graines de tournesol
Je dois dire que j’ai pris beaucoup de plaisir à chacune de ces rencontres, et que j’en suis toujours ressorti avec le sentiment d’avoir fait comprendre quelque chose de nouveau à ce jeune mathématicien (ou cette jeune mathématicienne puisque la dernière était une fille) en herbe. En fait, quand je dis « quelque chose de nouveau », je ne pense pas forcément à quelque chose de purement mathématique, mais peut-être aussi à quelque chose de moins concret, de moins palpable, quelque chose qui dirait que les mathématiciens, eux aussi, ont une vie et ne sont pas de simples noms en majuscules dans un livre de cours, quelque chose qui dirait que les mathématiques, comme les autres sciences, ne sont pas figées, que les idées et les mentalités évoluent, que des théorèmes sont démontrés chaque jour, et que chaque nouveau théorème pose au bas mot dix nouvelles questions, aussi quelque chose qui dirait qu’un calcul bête sur des nombres que l’on apprend ou que l’on pourrait apprendre au collège peut être réinterprété des années plus tard et ouvrir une nouvelle porte sur un domaine immense et fascinant, enfin quelque chose qui dirait que les chercheurs, comme les élèves de troisième, passent la plus grosse partie de leur temps à ne rien comprendre aux mathématiques, et qu’ils jubilent comme des gamins lorsqu’ils ont enfin compris quelque chose. Je ne sais pas, hélas, si tous les stagiaires ont apprécié cet entretien autant que moi : on a certes eu des retours en général très positifs sur le stage, mais ils n’étaient pas détaillés au point de savoir si mon intervention avait plus ou moins plus plu que celle de mon collègue ou, sans aller jusqu’à faire un classement, si elle était intéressante et compréhensible. J’espère toutefois que c’était le cas.
12h07
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