Pourquoi un nouveau colloque « Maths à Venir » ?

Publié le 23 juillet 2009

De nombreux chercheurs en mathématiques ressentent la nécessité de mieux faire connaître leur discipline à l’extérieur de leur communauté ; c’est d’ailleurs le point de départ de l’évolution de la revue « Images des Mathématiques » vers le présent site web. De fait, beaucoup ont fait au moins une fois l’expérience déprimante, lorsqu’on leur demandait ce qu’ils faisaient dans la vie, de s’entendre répondre : Il y a donc encore des choses à trouver en maths ?… Plus inquiétant, certains scientifiques ne sont pas non plus conscients de ce qu’est la recherche mathématique comme le montre, par exemple, la célèbre boutade (en était-ce une ?) d’un ancien ministre de la recherche, scientifique de poids, qui affirmait que les ordinateurs rendraient bientôt la recherche mathématique inutile. Jusqu’à récemment, nous pouvions (au choix) ignorer cet état de fait, nous en moquer, ou nous en offusquer, suivant notre tempérament. Aujourd’hui, réagir est devenu indispensable ; en effet, les grandes orientations de la recherche ne sont plus décidées par des scientifiques incontestables, et compétents dans notre domaine, en poste au MESR 1Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, au CNRS, ou dans des grands organismes ; elles sont désormais déterminées par les politiques, eux-mêmes largement influencés par les médias. L’affectation de postes d’enseignants-chercheurs en mathématiques est décidée directement par les établissements, c’est-à-dire en pratique par des présidents issus de toutes les disciplines, aidés par des conseils d’université très amaigris, souvent dépourvus de mathématiciens. On peut déjà constater les conséquences de ces changements : nos tutelles ne sont jamais avares de compliments envers la recherche fondamentale française, mais les domaines déclarés prioritaires relèvent essentiellement d’une recherche très finalisée, dans les domaines mis en avant par les médias. Les postes d’enseignants-chercheurs sont souvent redéployés vers d’autres disciplines ou, au mieux, fléchés au sein des mathématiques en suivant les contraintes thématiques d’enseignement (les maths « discipline de service »), au risque de détruire à moyen terme les grands équilibres entre ses différents sous-domaines.

Le profond malaise mis en évidence par les multiples grèves et manifestations de cette année ont montré que les universitaires perçoivent les conséquences prévisibles des grandes mutations actuelles du pilotage de la recherche (même si les mécontentements exprimés ont bien d’autres causes). Les démarches menées par l’Académie des Sciences, les sociétés savantes, et de multiples associations ont permis, marginalement, quelques inflexions : l’ANR augmente considérablement la part de ses programmes blancs (c’est-à-dire des financements non fléchés vers des thématiques prioritaires), une évaluation nationale a été (provisoirement…) remise en place pour l’attribution de la PES 2Prime d’excellence scientifique, anciennement PEDR (prime d’encadrement doctoral et de recherche)… Ce type d’actions, si nécessaire soit-il, ne pourra pas résoudre entièrement les questions que j’ai soulevées. D’une part, les réformes actuelles sont le reflet d’un mouvement mondial auquel nous ne pourrons pas totalement échapper, d’autre part, une partie des problèmes est spécifique aux mathématiques. Aussi, des actions d’une nature totalement différente doivent également être menées pour faire connaître notre discipline, montrer que nous ne sommes pas une « danseuse » qu’un état riche et puissant peut se permettre d’entretenir pour la gloire, mais que la recherche mathématique, depuis ses aspects les plus fondamentaux jusqu’à ses ultimes applications, est nécessaire, y compris pour répondre aux enjeux de la haute technologie et de l’économie. Le colloque « MATHS À VENIR » qui se tiendra les 1er et 2 décembre 2009 à la Mutualité a pour ambition de relever ce défi. On pourra à ce propos lire le précédent billet de François Sauvageot sur ce colloque.

Notre discipline est menacée par la méconnaissance que les « décideurs » et les médias en ont ; la menace n’est plus aussi directe qu’il y a 22 ans, lors du premier colloque « MATHS À VENIR », époque où existait une pénurie quasi-totale de postes et de financements. Cette situation critique avait stimulé toute la communauté mathématique et l’avait rassemblée au-delà de ses clivages, dans un sentiment partagé d’urgence ; cela est très bien décrit dans l’article de Jean-François Méla (qui était alors Président de la SMF), dans la « Gazette » 3de la Société mathématique de France d’avril 2009, je n’y reviendrai donc pas, si ce n’est pour rappeler que ce congrès a été couronné de succès, puisqu’il a rempli la mission qui lui était assignée : notre discipline a rapidement retrouvé les moyens financiers et humains nécessaires à son développement. La menace actuelle est plus insidieuse et, de ce fait, peut-être plus dangereuse. Les postes et les crédits en mathématiques ne vont probablement pas s’effondrer dans l’année qui vient. Mais, si nous n’y prenons pas garde, il deviendra naturel parmi les décideurs de penser que notre discipline est un peu moins utile que les autres sciences, et que nous sommes la « variable d’ajustement » sur laquelle on peut, de temps à autre, grignoter des crédits ou des postes, lorsque cela parait vraiment nécessaire. Aussi ce deuxième colloque « MATHS À VENIR », tourné vers les décideurs et les médias, aura pour ambition de faire connaître les grands enjeux autour de notre discipline.

Un préalable nécessaire est d’appréhender les problèmes auxquels ce colloque doit répondre. Pourquoi la société a-t-elle une perception erronée des mathématiques, alors même que ses chercheurs ont le sentiment d’être les acteurs d’un domaine en pleine explosion, et plus que jamais indispensable aux autres sciences et à la technologie ? un colloque entier pourrait être dédié à cette vaste question ; je commencerai par remettre en cause quelques uns de nos boucs émissaires favoris, bien utiles quand nous souhaitons nous lamenter sans réagir :

  • La « sélection par les maths » aurait rendu des générations de français allergiques à cette discipline suite à une overdose à l’adolescence. Il est certain que ce phénomène a peut-être créé une hostilité : il y a quelques jours, lors d’une émission de variétés télévisée, j’ai été choqué d’entendre le présentateur se vanter d’avoir eu 2 en maths au bac ; gageons qu’il ne se serait pas vanté d’un 2 en français ou en histoire, qui l’aurait fait passer pour inculte. Cependant, cette fameuse « sélection par les maths » s’est considérablement estompée (les heures de gloire de la série C sont passées), et ses conséquences sont complexes à analyser, puisqu’elle a aussi conduit à des postes de décideurs des personnes qui avaient la « bosse des maths » et devaient bien les aimer un petit peu…
  • Les médias boycotteraient les mathématiques, n’en parlant que pour les mettre en accusation (comme l’a montré l’affaire des maths financières), ou pour n’en présenter que les aspects anecdotiques (mise en avant de la personnalité facile à caricaturer de Perelman lors du dernier congrès international). Certes, beaucoup de journalistes scientifiques n’ont pas de formation pointue en sciences, et n’ont qu’une idée vague de notre activité. Mais les difficiles relations entre maths et médias tiennent beaucoup à la nature de notre discipline : il nous est quasi-impossible d’expliquer les enjeux qui se cachent derrière les problèmes internes aux mathématiques, faute de pouvoir mettre en avant des réalisations pratiques spectaculaires et à l’intérêt directement perceptible (contrairement aux sciences expérimentales). Discipline « en amont », les mathématiques, même si elles sont indispensables dans certaines réalisations technologiques, apparaissent souvent comme une brique dans un ensemble plus vaste ; elles sont alors occultées par des médias nécessairement réducteurs (la principale exception à cette règle était les maths financières…). Il est donc très difficile pour les médias de rendre compte des grandes avancées des mathématiques, beaucoup moins sensationnelles que pour les autres sciences, et d’apparence moins directement utiles. Loin de nous lamenter sur l’incompréhension dont nous faisons l’objet, il y a là pour nous un défi à relever, pour mieux faire connaître et comprendre la pertinence et l’importance de ces avancées.

Nous partageons en fait plusieurs de ces difficultés avec l’ensemble de la recherche fondamentale, y compris dans les autres disciplines. À une époque où l’on demande à chacun de prouver sa rentabilité immédiate, où l’économique gère tous les domaines de la société, il est plus difficile de justifier le maintien d’une recherche gratuite, non finalisée, dont le but ultime soit l’extension de la connaissance humaine. Si ces valeurs ne sont plus perçues par les décideurs français actuels, on peut, à minima, arguer du fait que la recherche la plus abstraite et la plus désintéressée se trouve souvent, quelques années plus tard, être un outil-clef totalement inattendu dans une grande percée technologique. Les exemples abondent : Albert Fert a souvent mis en avant ce fait lors de ses interventions dans les médias. La recherche fondamentale est un excellent investissement… mais à un terme non prévisible. Cet argument est d’ailleurs tout aussi pertinent au sein de notre discipline. Il n’y a pas si longtemps, les mathématiciens aimaient à se décliner entre « purs » ou « appliqués » (le « ou » étant souvent exclusif). Cette distinction n’a plus beaucoup de sens aujourd’hui, des outils extrêmement fondamentaux et abstraits trouvant des application pratiques spectaculaires. De plus, les délais entre la construction de ces outils et leur utilisation s’évanouit ; souvent, les même personnes sont simultanément au poste de concepteur et d’utilisateur. Dans mon domaine, une personnalité comme Terence Tao, ou encore les avancées en « compressed sensing », sont emblématiques, mais absolument pas isolées. De tels exemples doivent être mis en avant pour prouver aux décideurs l’importance de soutenir tout le spectre des mathématiques. Une grande force des mathématiques françaises actuelles est qu’elles sont présentes dans tous les sous-domaines, et pourront donc répondre à l’appel lorsque de nouvelles connexions entre sous-domaines, vers d’autres sciences ou de nouvelles applications apparaîtront.

La réussite du colloque « MATHS À VENIR » n’est pas encore acquise : il répond à une menace moins immédiate, plus diffuse qu’il y a 22 ans ; il n’est donc pas exclu que la communauté mathématique se sente moins menacée, et réagisse avec moins d’énergie qu’alors. Ses forces peuvent se trouver dispersées, car elle est déjà mobilisée face à un certain nombre de conséquences des réformes actuelles. Ce colloque s’adresse à des problèmes partiellement liés à ces réformes, mais qui sont spécifiques à notre discipline ; il est une réponse qui vient en complément des actions menées depuis deux ans ; il est tout aussi indispensable si nous voulons vraiment que toutes les conditions continuent à être réunies pour que notre discipline se maintienne en France au niveau où elle se situe aujourd’hui. Mathématiciens professionnels, amateurs ou curieux des réalisations de cette discipline, n’hésitez pas à participer à ce colloque qui marquera une date importante pour les mathématiques.

ÉCRIT PAR

Stéphane Jaffard

Professeur - université Paris Est Créteil

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Par exemple, on pourra écrire que sont les deux solutions complexes de l’équation .

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