Notes de lecture : Mathématiques congolaises (In Koli Jean Bofane)

Publié le 14 août 2011

J’ai découvert dans une librairie avec la mention « Coup de cœur de votre libraire » un roman que je n’hésiterai pas à conseiller à mon tour. Il s’agit de Mathématiques congolaises, d’In Koli Jean Bofane (Babel, Actes Sud, 2008).

À Kinshasa, dans un Congo où la violence le dispute à l’injustice, Célio Matemona, dit « Célio Mathématik » ne se sépare jamais d’un manuel scolaire qui appartenait à son père. Ce livre, L’Abrégé de mathématique à l’usage du second cycle (de Kabeya Mutombo, édition 1967), dans lequel il puise définitions et théorèmes, lui sert à prouver sa culture mathématique à son entourage et lui fournit des clés pour comprendre le monde : « Les théorèmes et définitions qui se succédaient avaient été de véritables oracles pour Célio. Il les avait appliqués aveuglément et en avait usé comme autant de martingales […]. Chaque chapitre, paragraphe, alinéa, avait été une solution vitale, un retournement spectaculaire, parfois, aussi, une déception […] ».

Nous ne raconterons pas plus avant ce roman avec ses personnages attachants ou démoniaques et le contexte politique dans lequel ils évoluent. Nous citerons juste en guise de clin d’œil aux lecteurs d’Images des Mathématiques les titres des chapitres (La sarabande des nombres, Apologie de la soustraction, L’ascension de l’hypoténuse, Les algorithmes nocifs, […] Les courbes décisives) et quelques phrases extraites de ce livre et reproduites ci-dessous.

Page 101 : « Nombres relatifs, équations réciproques, irrationnelles, numériques, calculs de dérivées. Théorème de Thalès, notions de trigonométrie. Géométrie dans l’espace, propriétés fondamentales du plan, cône de révolution, différence de deux vecteurs. Dans le calme de sa chambrette, dans un éclairage dansant, Célio Matemona tournait doucement les pages de l’Abrégé de mathématique à l’usage du second cycle […] ».

Page 246 : « Les particules élémentaires ne sont pas des points tangibles, mais sont comme des sortes de fantômes de particules. Lorsqu’on veut mesurer la position de l’une d’elles avec précision, l’information sur sa vitesse devient tout à coup incertaine. Lorsqu’on veut calculer sa vitesse, c’est sa position qui devient floue. Il existe même dans cette théorie un principe que l’on appelle le principe d’incertitude. Quelle poésie ! Tshilombo trouvait cela fabuleux […] Il voulait transposer cet état de fait sur l’armée nationale qui, justement, ressemblait à un vaste champ quantique où rien n’était clair et délimité […] ».

Page 295 : « L’esprit de Célio se mit alors à évoquer Kabeya Mutombo, Archimède de Syracuse, Apollonius de Perga, Georg Ferdinand Cantor, Pythagoras ; tous ceux qui avaient fait de lui ce qu’il était aujourd’hui ; qui lui avaient permis d’appréhender ce monde si compliqué. Puis il pensa avec attendrissement à Einstein, Vieux « Einsch’ » comme il avait coutume de l’appeler. Il savait bien, lui, que tout était relatif. Que ce qui était évident, ne l’était jamais à tout moment, en tout lieu et de la même façon […] »

Page 316 : « Célio leur avait affirmé que, selon l’Abrégé de mathématique à l’usage du second cycle de Kabeya Mutombo, édition 1967, dans une inéquation du premier degré, lorsque l’on mutiplie ou que l’on divise les deux membres d’une inégalité par un nombre, autre que 0,

1°) Si ce nombre est positif, l’inégalité subsiste ;

2°) Si ce nombre est négatif, l’inégalité change de sens.

Ce qui dans l’absolu n’était pas terrible, non plus. L’inégalité est une plaie contre laquelle il faut lutter de toutes ses forces, déclara-t-il. »

Je voudrais ajouter deux choses pour finir. D’abord qu’il ne faudrait surtout pas limiter ce roman aux allusions mathématiques qu’il contient ; c’est bien sûr beaucoup plus. Ensuite, les lecteurs auront peut-être comme moi fait le rapprochement avec un livre de Jerzy Kosinsky intitulé La présence (Being there) renommé Bienvenue, Mister Chance après la sortie du film éponyme, dans lequel un jardinier qui, par un concours de circonstances (qui fait un peu penser au film de Jean Renoir Boudu sauvé des eaux), se voit demander son avis par le Président des États-Unis sur le mauvais climat à la Bourse et répond par la seule chose qu’il connaisse, un conseil de jardinage. Les gens crient alors au génie, persuadés que le jardinier a voulu dire quelque chose de très profond en usant d’une métaphore subtile. Il devient alors peu à peu un personnage très important sans qui aucune décision politique ou économique ne peut être prise, alors que lui pense répondre uniquement à des questions concernant l’entretien des jardins. Il n’y a pas de parallèle étroit entre ces deux livres, j’y vois seulement une sorte de résonance, le jardinage dans l’un jouant un peu le rôle des mathématiques dans l’autre. Peut-être pourrait-on y trouver une inspiration pour remplacer le thème assez éculé des liens (sic) entre mathématiques et musique, par le thème des rapports entre mathématiques et jardinage…

ÉCRIT PAR

Jean-Paul Allouche

Directeur de Recherche émérite - CNRS - Institut Mathématique de Jussieu-PRG

Commentaires

  1. Secrétariat de rédaction
    août 14, 2011
    16h02

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Par exemple, on pourra écrire que sont les deux solutions complexes de l’équation .

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