Les mots des mathématiques

Publié le 16 décembre 2009
Version espagnole

Le professeur « Pouvez-vous me donner un exemple de nombre réel qui ne soit pas rationnel ? »
Dans la salle « treize ! »

Cette histoire, qui passe pour être arrivée naguère à Paris dans un cours de mathématiques pour littéraires, est sans doute trop belle pour être vraie. En tous cas elle montre bien que les mots en mathématique ont leur signification propre, et que la confrontation avec leur sens courant, ou philosophique pourquoi pas, peut être déroutante.

Beaucoup d’adjectifs peuvent suivre le mot nombre : il y a des nombres entiers, premiers (ir)rationnels, algébriques, transcendants, réels, imaginaires, complexes, transfinis, et j’en passe. Nombre, employé seul, signifie souvent, mais pas toujours. nombre entier. Témoin : la Théorie des Nombres. La notation \(\bf Z\), qui désigne traditionnellement les entiers relatifs, c’est-à-dire les entiers positifs ou négatifs, est l’initiale de l’allemand Zahlen, nombres (le verbe correspondant, zählen, voulant dire compter). Pourquoi relatifs ? Cette terminologie pas très heureuse vient du fait qu’on a besoin de préciser leur signe. Ici « relatif » s’oppose à l’absolu de « valeur absolue ».

Mais revenons aux rationnels et aux réels.

Rationnel est bien sûr dérivé de « raison », qui vient lui même du latin « ratio », qui signifie principalement « compte, calcul ». Le mot français a lui-même longtemps gardé ce sens : autrefois, le livre de raison, dans un foyer, était le livre de comptes. Et naguère, dans une suite
géomètrique \(ar^n\), le nombre \(r\) était appelé raison. Il n’est donc pas illogique d’appeler nombres rationnels les quotients de nombres entiers, même si on aurait très bien pu se contenter de les appeler des fractions, comme c’était le cas autrefois. On note \(\bf Q\) comme « quotient » l’ensemble des nombres rationnels. Notons que l’on a un magnifique pléonasme avec les « fractions rationnelles » qui sont les quotients de polynômes. Cela ne gène personne, heureusement.

La découverte par les Pythagoriciens de grandeurs incommensurables, c’est-à-dire dans le langage d’aujourd’hui de nombres non rationnels, logiquement baptisés irrationnels, a soulevé la question de fonder mathématiquement la mesure des grandeurs. Qu’il s’agisse de la solution proposée par Eudoxe dans l’antiquité, ou des travaux de Cantor et Dedekind, c’est une théorie difficile. Un nombre réel aujourd’hui c’est une coupure de Dedekind, ou une classe d’équivalence de suites de Cauchy. Vu l’abstraction de ces constructions, un tel adjectif semble immérité !

En fait, réel s’oppose ici à imaginaire. Pour résoudre un certain nombre de problèmes d’algèbre, les mathématiciens de la Renaissance ont été amenés à introduire des « nombres » dont le carré est un nombre réel négatif. On les a appelés nombres impossibles, ou imaginaires (ce dernier nom est dû à Descartes). Notons que les nombres négatifs avaient déjà eu droit en leur temps à l’appellation de nombres impossibles. L’interprétation géométrique de ces nombres déroutants, que l’on a su au début du XIXème siècle représenter par des points du plan, a rassuré les mathématiciens. Et comme un nombre « imaginaire » est donné par deux nombres « ordinaires » (ceux que l’on appellera plus tard réels), Gauss a introduit la terminologie de nombre complexe (non pas compliqué mais composé de deux nombres, sa partie réelle et sa partie imaginaire).

Je termine ce billet par une citation latine. Jadis, quand les « élites » étaient sélectionnées par le latin, les professeurs de lettres classiques ne manquaient pas de se plaindre du niveau des élèves. Il y avait parfois, il est vrai, des traductions fantaisistes.

Un théologien catholique aurait écrit « Numero deus impare gaudet »

« gaudet » signifie se réjouir, « numero » est l’ablatif de « numerum ». Donnons quand même la traduction correcte.

Dieu se réjouit d’un nombre impair (allusion à la trinité)

La traduction suivante a été proposée par André Gide, dans Paludes.

Le numéro deux se réjouit d’être impair.

Commentaires

  1. Ludmila
    décembre 31, 2009
    11h30

    Il me semble que la citation latine n’est pas due à « un théologien » mais à Virgile, poète romain du premier siècle avant Jésus-Christ (dans un de ses églogues).

    Les anciens Romains se permettaient d’aimer les nombres impairs bien avant la Trinité (et même avant Verlaine, c’est dire).

    Respectueusement

    Ludmila

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Par exemple, on pourra écrire que sont les deux solutions complexes de l’équation .

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