Le « Silence » de ce roman est, vous le devinez puisque j’en parle dans IdM, le silence du mathématicien, et pas seulement celui de l’indicibilité des concepts. Certes la difficulté de communiquer sur les mathématiques avec les profanes qui a été souvent discutée dans IdM est bien l’un des sujets du roman, mais il y a d’autres silences.
Quand elle le découvre mort après qu’il se soit suicidé, Jessica Leroy constate qu’elle ne sait rien de son époux Alexandre, mathématicien français installé à Chicago et médaille Fields, qu’elle aime. Déboussolée, elle cherche à comprendre et à savoir. Elle part en quête de tous les indices d’un passé qu’elle ignore, parce qu’Alexandre ne pouvait que le taire.
Parmi les romans qui parlent de mathématiciens il en est des naïfs, d’autres qui méconnaissent le milieu et d’autres enfin qui n’en voient que le côté fêlé, si ce n’est pas les trois à la fois. Ce n’est pas le cas de celui-ci, certainement parce qu’il est écrit par quelqu’un qui est mathématicien lui-même. Sous-tendu par des citations du poète Armand Robin que j’ai découvert à cette occasion, le roman traite, outre du mutisme inhérent au mathématicien, de la création, de l’identité et de l’autisme.
Quoique le roman soit assez court (210 pages), tous ces sujets ne s’entrechoquent pas. Au contraire l’auteur les relie harmonieusement. J’ai trouvé de belles descriptions de l’activité du chercheur en mathématiques et des différentes façons de créer des jolies mathématiques. Le problème de l’identité alliée à une description du milieu universitaire américain, m’a rappelé « La Tache » de Philip Roth, tandis que le processus de création évoque le film « Proof », mais ces deux aspects sont abordés dans des perspectives tout à fait différentes. Une autre source d’inspiration, revendiquée par l’auteur, est la vie d’un autre mathématicien, médaillé Fields et prénommé lui aussi Alexandre 1Voir ce portrait sur IdM.
Ce roman m’a été recommandé par une amie qui n’est pas mathématicienne du tout et a été lu autour de moi par des non-mathématiciens. A part l’un de mes amis qui a trouvé l’intrigue trop invraisemblable, avis que je ne partage pas, nous l’avons tous aimé et je pense qu’il devrait figurer en ce début d’été, dans la poche des lecteurs d’IdM et de leurs amis.
9h28
Merci d’avoir signalé ce livre ! je l’ai lu d’une traite et je l’ai beaucoup aimé. Un des mutismes dont il est question ici, en plus du mutisme inhérent au mathématicien et de l’autisme, est aussi, et de manière importante, celui lié à la Shoah, le silence structurant dont parle Dominique Frischer dans Les enfants du silence et de la reconstruction, la Shoah en partage ou les non-dits qu’évoque par exemple G. Tenenbaum dans L’ordre des jours.