Ne boudons pas notre plaisir devant la description gentiment ironique faite par Georges Colomb, alias Christophe, d’un mathématicien distrait.
Georges Colomb, ancien élève de l’Ecole Normale de la rue d’Ulm, enseignait ce que l’on appelait autrefois les Sciences Naturelles. C’était un excellent professeur, très apprécié de ses élèves. On dispose d’un témoignage de marque, celui de Marcel Proust, qui fut son élève au lycée Condorcet. On trouve d’ailleurs dans « A la recherche du temps perdu » de nombreuses remarques qui témoignent d’une bonne culture scientifique. Proust ne fut pas le seul à bénéficier de son enseignement. Dreyfusiste militant, Georges Colomb manifesta concrètement son soutien au capitaine Dreyfus en faisant travailler ses enfants. C’était aussi un vulgarisateur infatigable. 1Biographie de Christophe, par François Caradec, préface de Raymond Queneau. Grasset, 1956. Réédition Pierre Horay éditeur, 1981. Collection Les Singuliers.
Pour arrondir ses fins de mois, il se mit à écrire des bandes dessinées, sous le pseudonyme de Christophe. Trois d’entre elles étaient bien connues jusqu’aux années 50, un peu moins pendant la décennie d’après. Il s’agit de La famille Fenouillard, le Sapeur Camember, L’idée fixe du Savant Cosinus. 2J’ai sous les yeux des exemplaires publiés dans la collection ’’Le Livre de Poche’’ en 1965..
« L’idée fixe du savant Cosinus » est l’histoire d’un mathématicien effroyablement distrait, qui a décidé de faire le tour du monde mais n’arrive pas à quitter Paris. Certains (dans Wikipedia par exemple) disent que son modèle était Jacques Hadamard, connu il est vrai pour sa distraction, mais tout porte à croire que le véritable modèle était Henri Poincaré (un grand distrait lui aussi) : Cosinus, de son vrai nom Zéphyrin Brioché, est allé à Polytechnique, comme Poincaré.
Les mésaventures savoureuses qui surviennent à Cosinus méritent d’être portées à la connaissance du public d’aujourd’hui. Elles sont disponibles en ligne. Les allusions mathématiques ne manquent pas. Sa servante Scholastique « n’arrive pas à comprendre l’utilité qu’il peut y avoir à écrire des tas de choses pour arriver à mettre au bout :=0 ». Il y en a d’autres plus subtiles. On le voit mesurer, à 3 ou 4 cm près, le diamètre d’un ballon avec un sphéromètre de son invention, ainsi fait qu’il ne peut rien mesurer du tout. 3La conception d’un véritable sphéromètre est un exercice qui n’est pas inintéressant, voir le chapitre du livre de géométrie de Marcel Berger consacré à la sphère.
Mais tout est bien qui finit bien. Cosinus renonce à ses tentatives et épouse sa voisine du dessous, Madame Belazor, homme de lettres (on dirait aujourd’hui écrivaine). Voici le texte de sa demande en mariage.
Madame, je suis assez bien de ma personne, et membre de plusieurs sociétés savantes. Je suis un mobile qui cherche à se fixer. Voulez-vous être le cercle dont je serai le centre, l’hyperbole dont je serai le foyer, le tétraèdre dont je serai le sommet, la strophoïde 4Courbe obtenue par inversion d’une hyperbole équilatère, quand le pôle est sur l’hyperbole. dont je serai l’asymptote ? En un mot, voulez-vous de moi pour époux ?
Vécurent-ils heureux, eurent-ils beaucoup d’enfants ? Ils eurent en tous cas deux jumelles, Sécante et Cosécante. 5La sécante est l’inverse du cosinus, la cosécante l’inverse du sinus.
Crédits images
L’image en logo est tiré de L’idée fixe du savant Cosinus, IVe Chant. « Cosinus solliciteur ».
11h29
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