Une question assez sensible dans le monde des mathématiques universitaires est celle du « recrutement local ». Elle permet de montrer quelques aspect de la vie des labos, mais avant d’expliquer de quoi il s’agit, il n’est peut-être pas inutile de décrire à quoi peut ressembler la carrière d’une mathématicienne (ou d’un mathématicien, bien sûr) 1 j’ai fait le choix de prendre l’exemple d’une femme, mais j’utiliserai le masculin pour les pluriels en accords avec la règle usuelle..
Une carrière de matheuse
Une carrière de mathématicienne commence nécessairement par un doctorat. Pendant environ trois ans, l’apprentie, le plus souvent fraîchement munie d’un master de mathématiques, étudie une ou plusieurs questions ouvertes de recherche qui lui ont été proposées par sa directrice de thèse. Si sa recherche est jugée fructueuse, elle se voit attribuer le diplôme de docteur en mathématiques, ce qui lui donne 2presque, mais je ne tiens pas à rentrer dans tous les détails le droit de postuler à un emploi permanent dans une université ou un établissement de recherche comme le CNRS. S’ensuit une période plus ou moins longue (de 0 à 7 ans pour les exemples que je connais) de post-doctorat, où la mathématicienne travaille sur des postes temporaires de recherche et éventuellement d’enseignement.
À l’issue de cette période, elle peut se tourner vers un autre métier (exemple classique : enseignante du secondaire) ou être recrutée de façon permanente comme chercheuse (au CNRS principalement, ou à l’INRIA) ou comme enseignante-chercheuse par une université. Dans le premier cas elle sera chargée de recherche (CR), dans le second maître de conférence 3le terme maîtresse de conférence est rarement employé (MC). Dans les deux cas, on dit parfois qu’elle est « de rang B ». Le concours du CNRS est national, alors que les concours de MC se déroulent au sein de chaque université ; mais une fois recrutés, tous se retrouvent en général dans un laboratoire « UMR » (unité mixte de recherche) dépendant (au moins) du CNRS et d’une université.
Après quelques années sur un tel poste et si ses résultats de recherche sont jugés assez importants, une mathématicienne peut envisager de présenter son habilitation à diriger les recherches, HDR pour les intimes, diplôme universitaire le plus élevé qui lui permet d’encadrer des doctorants et doctorantes. Celle-ci lui donne alors la possibilité de postuler à un emploi dit « de rang A ».
Ces derniers sont de deux types : Directrice de recherche (DR) pour le CNRS, Professeur 4Professeures ? (PR) pour un poste universitaire. Encore une fois, les DR sont recrutés par un concours national (CNRS par exemple) alors que les professeurs sont recrutés au sein des universités. Les emplois de DR et PR ont des grilles de salaire plus avantageuses, et sont associés à une plus grande prise de responsabilité au sein du laboratoire. Il y a aussi souvent des différences dans la répartition des enseignements entre les maîtres de conférence et les professeurs, mais dans l’ensemble ça reste le même métier. À noter : les postes de rang A sont relativement moins nombreux que ceux de rang B (spécialement au CNRS), une mathématicienne peut très bien rester maître de conférence ou chargée de recherche toute sa carrière, même si son travail est très bon. Les deux types de postes sont perméables, et beaucoup de chargés de recherche deviennent professeurs (la trajectoire inverse étant plus rare).
La question du recrutement local
On dit qu’une universitaire est « recrutée localement » si elle devient maître de conférence là où elle a fait sa thèse, ou professeur là où elle était maître de conférence. Bien sûr, il y a beaucoup de variantes : on peut changer d’université et avoir été maître de conférence à plusieurs endroits, avoir fait une thèse en co-tutelle, on peut changer de laboratoire mais pas d’université (rarement, toutefois, puisque la plupart des université n’ont qu’un laboratoire de maths), ou même changer d’université mais pas de laboratoire si on est à Jussieu, etc.
La règle, extrêmement ferme et répandue, adoptée largement sous l’impulsion du CNRS depuis au moins 15 ans, est de ne pas recruter de maître de conférence en local (avec différentes précisions pour les ambiguïtés signalées). La plupart des laboratoires s’interdisent également de recruter leurs professeurs en local.
Les arguments contre le recrutement local sont essentiellement de deux types. Les premiers considèrent la mobilité comme un facteur enrichissant : en faisant changer chacune de laboratoire une ou deux fois dans sa carrière, on provoque le mélange des idées et des pratiques, ce qui favorise une recherche fructueuse. À l’inverse, en restant toute sa carrière au même endroit on risquerait de tourner en rond sur les même questions, de scléroser. Le second type d’argument porte sur l’objectivité du recrutement : le recrutement local demande que les collègues de la candidate évaluent son dossier et le comparent à ceux des candidats extérieurs. Le risque existe de favoriser les locaux, qu’on connaît mieux, de froisser leur susceptibilité si on ne les choisit pas, et donc de se sentir poussé à les choisir pour éviter la dégradation de l’ambiance. Dans le cas du recrutement de maître de conférence, les directeurs de thèse ayant intérêt à ce que leurs élèves trouvent un poste, ils pourraient biaiser le recrutement. Dans le cas du recrutement prof, les maîtres de conférence convoitant un tel poste en local pourraient s’incliner devant les décisions politiques des professeurs déjà en place afin de favoriser leur candidature.
Les deux type d’arguments trouveraient leur illustration dans la perpétuation de « chapelles », les directeurs de thèse faisant embaucher principalement leurs élèves qui reproduisent le même genre de recherche qu’eux et soutiennent leurs décisions, le tout en circuit fermé ; j’avoue ne pas connaître l’existence de chapelle aussi caricaturale, mais ceci est sans doute à porter au crédit du non recrutement local.
Les arguments pour autoriser le recrutement local se basent principalement, au moins en maths, sur le niveau personnel : changer d’université, donc souvent de ville à la fin de la thèse (entre 25 et 30 ans), puis après l’HDR (entre 26 et 45 ans disons) peut être trop contraignant pour la vie de famille, en particulier pour les couples d’enseignant-chercheur. J’ai de nombreux collègues qui pourraient passer prof, mais ne le font pas car il ne souhaitent pas déménager une fois de plus. Parfois, ceci provoque d’ailleurs des tensions compréhensibles, la règle étant habituelle mais pas d’ordre légal.
L’un des attraits des carrières au CNRS est leur souplesse géographique : même si on ne peut normalement pas se faire affecter dans son laboratoire de thèse à son recrutement, il est en général facile de suivre son conjoint. Il était aussi courant que les CR promus DR restent dans le même laboratoire (en particulier quand cette promotion est tardive et que leur travail relevait depuis longtemps d’un poste de DR en terme d’organisation de conférence et de groupes de travail et d’encadrement de thèses). Mais la direction de l’INSMI (Institut National des Sciences Mathématiques et de leurs interactions (CNRS)) a décidé de bannir le passage de CR à DR en local, en invoquant la cohérence avec ce qui se pratique pour les professeurs. Leurs arguments sont donc de la première catégorie décrite ci-dessus. Ils sont valables, mais je trouve un peu curieux qu’ils semblent oublier que la deuxième catégorie d’arguments est très importante dans le non-recrutement local des professeurs, et qu’elle n’est pas pertinente au CNRS puisque le concours est national. Le choix à faire entre pousser les chercheurs à bouger, et leur permettre de se fixer dans une ville n’est pas évident et il n’y a pas de réponse toute faite, mais il ne faut pas négliger la démotivation que peut représenter l’affectation à 200 km de son conjoint et de ses enfants.
Post-scriptum
Proche de ce sujet, on peut trouver sur le site Débuter dans le métier d’enseignant-chercheur et Mathématicienne de Barbara Schapira (NDLR).
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Par exemple, on pourra écrire que sont les deux solutions complexes de l’équation .
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