Invitation à une dégustation

Publié le 8 mai 2013

De temps en temps, chaque enseignant repère certains élèves ou étudiants ayant une inclination spéciale pour les maths. Comment faire pour développer leur goût pour cette science ? L’une des méthodes est de leur recommander des lectures supplémentaires, surprenantes et instructives.

J’ai découvert récemment un recueil de vingt courts essais mathématiques qui me semblent parfaitement indiqués pour ces jeunes personnes, vers la fin du lycée et le début de l’université. Il s’agit de « Essays on numbers and figures » de Victor Prasolov 1Publié initialement en russe en 1997, une traduction anglaise est parue en 2000 à l’American Mathematical Society..

Livre

On y apprend des théorèmes concernant les nombres, les polynômes ou les figures de la géométrie plane dont les preuves, jamais bien longues, sont à chaque fois surprenantes d’ingéniosité.

Voici par exemple le théorème suivant découvert par Fermat, qui est le sujet de l’un des essais les plus courts du livre :

Tout nombre premier de la forme \(4k + 1\) s’écrit comme somme de \(2\) carrés de nombres entiers.

La preuve présentée par Prasolov est due à Don Zagier, et a été énoncée par ce dernier en une seule phrase2Dans «{A one-sentence proof that every prime \(p \equiv 1(\mbox{mod } 4)\) is a sum of two squares}», American Math. Monthly {{97}}, No. 2 (1990), 144.:

« L’involution sur l’ensemble fini
\(S = \{ (x,y,z) \in (\mathbb{N^*})^3 : x^2 + 4yz = p \}\) définie
par
\[(x,y,z) \to \left\{ \begin{array}{ll}
(x + 2z, z, y – x – z) & \mbox{ si } x < y – z \\
( 2 y – x, y, x – y + z) & \mbox{ si } y-z < x < 2y \\
(x – 2y, x – y + z, y) & \mbox{ si } x > 2y
\end{array} \right. \]
a exactement un point fixe, donc \(| S |\) est impair et l’involution définie par
\((x,y,z) \to (x, z, y)\) a aussi un point fixe.»3 Ici \(| S |\) désigne le cardinal de l’ensemble fini \(S\) et une involution de \(S\) est une fonction \(f : S \to S\) qui, appliquée deux fois de suite, envoie tout élément de l’ensemble sur lui-même.

Comment cela prouve-t-il le théorème ? Pourquoi une involution sur un ensemble fini de cardinal impair a-t-elle nécessairement un point fixe ?
À chaque fois la réponse apparaît en un éclair de compréhension, cela semble
tellement simple ! Il faut en revanche quelques petits calculs, peut-être moins satisfaisants gustativement, pour voir que les formules précédentes définissent bien une involution de l’ensemble \(S\).

Ce que je trouve le plus agréable en bouche, est de contempler le principe de la preuve : au lieu d’aborder frontalement l’équation initiale, en étudier une autre ayant un ensemble de solutions qui n’est point amorphe, car il est muni d’une symétrie bilatère, décrite par l’involution, telle que le lieu de ses points fixes corresponde aux solutions de l’équation initiale. C’est, dans un autre contexte, la même stratégie qui est à l’œuvre lorsque l’on étudie des équations réelles à l’aide des nombres complexes, les solutions réelles formant alors le lieu des points fixes de l’involution de conjugaison 4Zagier indique brièvement dans son article une autre analogie, pour lecteurs plus avertis : «… le principe de base que nous avons utilisé : “Les cardinaux d’un ensemble fini et de son lieu de points fixes sous une involution ont la même parité” est un analogue combinatoire et un cas particulier du résultat topologique correspondant : “La caractéristique d’Euler d’un espace topologique et de son lieu des points fixes sous n’importe quelle involution continue ont la même parité”.».. Il y a ainsi un fin plaisir gourmet à ressentir, au contact d’un mets, des allusions à d’autres mets.

Comment peut-on arriver à une telle preuve, éclatante de simplicité et d’ingéniosité ? Zagier explique qu’elle lui a été inspirée par une preuve de Heath-Brown, inspirée à son tour par une preuve de Liouville. De telles fines preuves ne sortent donc pas du seul génie de leur auteur, celui-ci les distille de l’alambic des siècles ! Et il ne faut pas se leurrer, même les plus grands maîtres n’arrivent que rarement à une telle élégance.

Il est par contre nécessaire de faire goûter de telles preuves aux jeunes, car je pense qu’on ne peut rêver de faire un jour de la recherche en maths si on n’espère pas en trouver soi-même de comparables. Heureusement, apprécier de telles preuves est plus facile que les trouver. Le livre de Prasolov en regorge, à consommer sans modération !

ÉCRIT PAR

Patrick Popescu-Pampu

Professeur - Université de Lille

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Par exemple, on pourra écrire que sont les deux solutions complexes de l’équation .

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