En 1953, le jeune Alexandre Grothendieck publie un article qui passe à l’époque totalement inaperçu, le « Résumé de la théorie métrique des produits tensoriels topologiques », mais dont on a réalisé a posteriori qu’il avait des répercussions profondes non seulement en mathématiques, mais aussi en physique et en informatique !
Le « Résumé » passe inaperçu pour plusieurs raisons : il est écrit en français, sur un sujet qui n’est pas à la mode, dans une obscure revue brésilienne qui, pour des soucis logistiques ne sera imprimée qu’en 1956, qui plus est à très peu d’exemplaires, le rendant quasiment introuvable. De plus, à cette même période, Grothendieck délaisse l’analyse fonctionnelle pour se consacrer à la géométrie algébrique.
Complètement ignoré pendant plus de quinze ans, le « Résumé » est « découvert » par la communauté mathématique en 1968, au moment où l’on réalise notamment qu’il résout des conjectures qui ont été formulées après sa publication ! Parmi les résultats importants du « Résumé » figure ce qu’on appelle aujourd’hui l’inégalité de Grothendieck (en), qui compare différentes normes naturelles que l’on peut construire à partir de l’espace de Hilbert [1]. Cette inégalité fait intervenir une constante dont la valeur exacte est inconnue, appelée depuis constante de Grothendieck.
Une fois compris et appréhendés, les résultats du « Résumé » ont profondément influencé l’analyse fonctionnelle de la deuxième moitié du vingtième siècle. Mais il y a mieux : le « Résumé » a aussi eu un fort impact en dehors des mathématiques, atteignant les sciences voisines !
En 1980, Boris Tsirelson (en) a découvert un lien entre l’inégalité de Grothendieck et le paradoxe d’Einstein-Podolsky-Rosen en mécanique quantique. Le paradoxe EPR est une expérience de pensée qui, à partir des postulats de la mécanique quantique, prédit l’existence de corrélations entre les résultats de mesures effectuées simultanément dans deux systèmes éloignés géographiquement. Deux explications du paradoxe ont été mises en avant : soit il existe des variables cachées inaccessibles aux observateurs, soit la mécanique quantique est non locale, c’est-à-dire qu’elle autorise des interactions immédiates à distance. On sait que la deuxième explication est la bonne depuis que l’on a observé expérimentalement des corrélations qui violent les inégalités de Bell, alors que ces dernières sont vérifiées dans toute théorie à variables cachées. La contribution de Tsirelson consiste à relier les inégalités de Bell à l’inégalité de Grothendieck du « Résumé ». Ainsi, la non-localité de la mécanique quantique correspond au fait que la constante de Grothendieck est strictement supérieure à 1 !
Plus récemment, l’inégalité de Grothendieck et ses avatars ont fait une irruption tout aussi remarquable en informatique théorique. Considérons le problème de la coupe maximale : comment colorier les sommets d’un graphe en bleu et rouge pour maximiser la « coupe » du coloriage, définie comme le nombre d’arêtes rejoignant deux sommets de couleur différentes ? C’est un problème NP-difficile, trop complexe pour être résolu en pratique. Dans des questions de ce genre, sous des hypothèses qui impliquent entre autres une réponse négative au problème P=NP, la constante de Grothendieck apparaît comme le quotient entre le maximum absolu (la meilleure coupe) et le maximum effectif (la meilleure coupe trouvable par un algorithme de la classe P).
De l’ignorance d’hier à l’ubiquité d’aujourd’hui, le destin du « Résumé » est remarquablement singulier !
Post-scriptum
Référence de l’article : Grothendieck, Alexandre
« Résumé de la théorie métrique des produits tensoriels topologiques », Boletim Sociedade de Matemática de São Paulo 8 (1953), p. 1–79.
Deuxième édition (pdf) mieux typographiée : Resenhas 2 (1996), n° 4, p. 401–480.
Pour plus d’information, on pourra aller regarder l’exposé de Gilles Pisier lors du séminaire « Lectures grothendieckiennes » (2017-2018), organisé par Frédéric Jaëck au département de mathématiques de l’ENS.
Article édité par Germoni, Jérôme
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Par exemple, on pourra écrire que sont les deux solutions complexes de l’équation .
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