En réponse à une question de la commission de recrutement du CNRS en 1997, Ngô Báo Châu a répondu qu’il travaillait sur le « Lemme fondamental », ce qui qui a provoqué un éclat de rire général et il n’a pas été reçu cette année-là (il l’a été l’année suivante). En 2008, il a enfin réussi, en s’appuyant sur les travaux de nombreuses personnes, à démontrer ce fameux « lemme », ce qui lui a valu une médaille Fields cet été.
L’éclat de rire de la commission est on ne peut plus compréhensible ; il est déjà étrange d’appeler un énoncé non démontré un lemme fondamental (il y a une contradiction puisqu’un lemme n’est censé être qu’une étape, à oublier le plus vite possible, dans une démonstration), mais il l’est encore plus de parler de « le » lemme fondamental. Alors de quoi s’agit-il ?
Robert Langlands a mis sur pieds, en 1967, un gigantesque programme connectant deux pans des mathématiques a priori assez éloignés : l’un relevant de la théorie des nombres (systèmes compatibles de représentations galoisiennes, motifs, deux concepts issus des travaux d’Alexandre Grothendieck) et l’autre de l’analyse harmonique (séries de Fourier, spectre du laplacien, représentations de groupes adéliques…). Une telle correspondance (loin d’être établie) est le reflet de symétries absolument remarquables, et fort bien dissimulées, en théorie des nombres. Aller de l’analyse à l’arithmétique est considéré comme le sens « facile », l’autre étant le sens « difficile ». La raison pour laquelle le sens analyse→arithmétique est considéré plus facile est que l’on dispose d’une stratégie, que l’on sait faire marcher dans les cas les plus simples 1Par exemple pour GL2, i.e. pour des objets de dimension 2 du côté arithmétique., pour effectuer le trajet. Malheureusement, dans des cas plus compliqués, cette stratégie était conditionnée à la vérification de certaines identités combinatoires qui n’avaient pas l’air bien méchantes à première vue (d’où le « lemme »), même si elles semblaient incontournables pour permettre à la machine de fonctionner (d’où le « fondamental »). Maintenant que ce résultat est démontré, les arithméticiens vont disposer de tas d’objets avec lesquels jouer 2Certains avaient déjà commencé à le faire, en admettant que le fameux lemme était correct., et on peut espérer une moisson de nouveaux résultats 3Par exemple en direction de la « conjecture principale » (de quoi provoquer d’autres accès d’hilarité de la part des commissions de recrutement…) : la conjecture principale (sous-entendu « de la théorie d’Iwasawa ») est un énoncé reliant des objets analytiques (p-adiques) à des objets arithmétiques..
Pour attaquer le sens difficile, il semble qu’il faille déjà savoir faire le sens facile et vérifier que l’on obtient tout du côté arithmétique de cette manière. Cette dernière étape semblait un mur totalement inattaquable jusqu’aux travaux d’Andrew Wiles ayant conduit à la démonstration du théorème de Fermat 4Il s’agissait d’établir le sens difficile pour certains objets arithmétiques de dimension 2, conjecture de Taniyama-Weil qui a joué un grand rôle dans la genèse du programme de Langlands. : Wiles a découvert une sorte d’effet tunnel p-adique permettant de franchir le mur 5Avant de s’attaquer à ce mur, Wiles avait beaucoup travaillé sur la conjecture principale, la démontrant dans le cas des corps totalement réels, ce qui généralisait un de ses travaux antérieurs avec Barry Mazur. Il avait d’ailleurs dissimulé ses travaux sur le théorème de Fermat en expliquant travailler sur la conjecture principale pour le carré symétrique d’une forme modulaire, ce qui était la clé du tunnel p-adique (fait qu’il avait soigneusement caché).. Les méthodes de Wiles ont été perfectionnées par des mathématiciens de toute la planète, et on dispose à présent d’une machine permettant des choses assez étonnantes pour aller dans le sens difficile, mais on est encore loin du but.
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Par exemple, on pourra écrire que sont les deux solutions complexes de l’équation .
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