Une question que je me propose d’aborder brièvement est si les universités françaises vont continuer d’attirer des jeunes talents en se basant uniquement sur la renommée de l’école mathématique française ?
Pour mieux comprendre où je veux en venir, il faut connaitre un peu le déroulement des études à l’Université. Très schématiquement pendant les trois premières années à l’Université on prépare la Licence, d’où les appellations L1, L2, L3 pour chaque année d’étude. Les deux années d’après sont consacrés au Master (Master 1 et Master 2) et ensuite, pour ceux qui désirent explorer le monde de la recherche, il y a le Doctorat (normalement pour une période de 3 à 4 ans). La réussite dans chacune des trois composantes de la formation universitaire, Licence, Master ou Doctorat (L,M,D) est attestée par le diplôme correspondant, ce qui permet, en théorie de changer ensuite de filière, d’établissement etc.
Le système actuel prévoit que les étudiants ayant obtenu les meilleurs qualificatifs en Master 2 puissent bénéficier d’une bourse de doctorat s’ils désirent poursuivre leur études avec les 3 ans de thèse. Le Doctorat, ou la préparation d’une thèse, est également une période de temps consacrée aux études mais d’une nature fondamentalement différente de ce que (en général) l’étudiant a pu expérimenter jusqu’ici. Il va passer du statut d’élève, préoccupé par apprendre ce que on lui enseigne, au statut de chercheur, acteur actif du monde de la recherche. Le but du Doctorat serait d’acquérir suffisamment de connaissances dans un domaine de spécialisation lui permettant de comprendre les recherches actuelles portant là-dessus et d’apporter une première contribution originale dans ce domaine. Des informations d’ordre administratif concernant le déroulement de la thèse se trouvent ici.
Les élèves des Grandes Écoles, en particulier les normaliens 1En parallèlle avec le système des Universités on a
en France les Grandes Écoles, les plus connues étant les
Écoles Normales Supérieures (ENS de Paris, Cachan ou Lyon)
et l’École Polytechnique (X). Pour entrer comme étudiant dans une des
Grandes Écoles on doit passer un examen d’entrée très sélectif.
Les élèves recrutés par l’ENS, les normaliens, viennent, pour la plupart,
des classes préparatoires des lycées ayant des classes de mathématiques
spéciales, mais il y a aussi des passages possibles
entre Université et l’ENS à différents niveaux. Voir la
Brochure ENS pour plus d’informations. ont droit à des allocations AMN 2Les Allocations de monitorat des Grandes Écoles sont des bourses qui concernent les élèves de l’École Polytechnique (AMX) et des ENS (AMN). Ces bourses permettent d’intégrer un laboratoire d’une Université pour préparer son Doctorat. tandis que ceux qui ont suivi la filière universitaire candidatent pour les bourses de l’école doctorale locale, plus connues sous le nom de bourses du Ministère, ou bourses MENRT 3Les bourses de thèse MENRT sont attribuées aux Écoles Doctorales par le Ministère de l’Éducation Nationale, de la Recherche et de la Technologie sur la base du nombre d’étudiants inscrits en Master 2 l’année précédente soit directement soit par l’intermédiaire de la Présidence de l’Université. Le nombre de ces bourses est chaque année très inférieur au nombre d’étudiants inscrits en Master 2. Dans un laboratoire comme celui oú je travaille le nombre de bourses données par la deuxième voie varie entre 2 et 3 par an.
D’un certain point de vue cette manière de fonctionner est partiellement en désaccord avec le système LMD. Le scindement du cursus universitaire en trois parties, Licence, Master et Doctorat devrait accroitre l’indépendance des trois composantes. La contradiction vient du fait qu’on peut rarement préparer son doctorat ailleurs que dans le laboratoire où l’on a préparé son Master 2 (à moins d’avoir une bourse AMN). En effet les chances d’obtenir une bourse dans une autre école doctorale que celle où on a fait ses preuves sont bien minces. Je tiens à dire que tout ceci n’est nullement absurde : il est tout à fait raisonnable de sélectionner en fonction des résultats obtenus aux examens passés dans le cadre de la même école doctorale car les comparaisons seront plus objectives. Les candidats externes seront de facto classés moins bien que les locaux, et vu le nombre réduit de bourses à pourvoir par le biais des écoles doctorales, ils ne pourront pas y avoir accès sauf circonstances exceptionnelles.
Le vrai problème est qu’il n’y a pas d’autres alternatives ouvertes à tous ceux qui ont obtenu leur Master 2. Il est quasiment impossible aujourd’hui de faire son Master 2 en Allemagne et ensuite son doctorat en France, à moins bien sûr d’avoir préalablement obtenu un financement doctoral de l’université allemande respective.
D’autre part il y a une grande variété de projets de coopération et mobilité au niveau européen, mais leur fonctionnement reste (pour moi) opaque et d’une lourdeur bureaucratique exemplaire. Pour le candidat lambda le résultat de sa démarche tient plutôt de la chance que de ses compétences professionnelles. En effet, lorsque un tel candidat contacte un membre de notre laboratoire en étant intéressé par une thèse dans son domaine, tout ce que l’on peut faire est de lui demander de se trouver un financement. Des fois sa démarche peut se raccrocher à un projet de coopération inter-universitaire déjà existant et fonctionnel et dans ce cas elle aura des vraies chances d’aboutir. Sur le plan local on peut chercher aussi des financements, mais on n’arrivera pas très loin car l’offre est assez restreinte. Si ses diplômes donnent entière satisfaction à l’administration de l’université (le vrai Cerbère dans l’affaire) et si le candidat potentiel réussit à se trouver un financement dans son pays alors, en principe, il pourra commencer ses études en France, après un passage plus ou moins formel devant une commission d’équivalence.
Je trouve cette démarche bien peu cartésienne et beaucoup trop aléatoire pour être attirante pour une bonne partie des candidats sérieux. Depuis quelques années j’ai pu constater moi-même le peu d’attrait que les universités françaises exercent sur les jeunes candidats en provenance, en particulier, de l’Europe de l’Est. J’ai été interpellé récemment par le fait qu’ aucun des étudiants dans le programme de Master de l’ENS Bucarest (école construite sur le modèle de (et parrainée par) l’ENS) n’a manifesté le moindre intérêt à poursuivre ses études en France. En effet, mis à part l’excellent programme de l’École Polytechnique et des Écoles Normales Supérieures permettant un petit nombre de candidats étrangers de haut niveau (avant Master, en général), l’offre d’accueil direct en France est pratiquement nulle. Cette situation n’exclut pas qu’un certain nombre de jeunes ont pu trouver leur chemin et faire des brillantes études en France.
Cependant on entend souvent que, aujourd’hui plus que jamais, les formations niveau Master et Doctorat devraient justement s’ouvrir vers l’international et faire en sorte que la mobilité ne soit pas que un vain mot.
Je me propose de vous présenter l’autre système, qui semble plus transparent et qui séduit de nombreux candidats par sa simplicité. Car le monde actuel compte bon nombre de jeunes mathématiciens ambitieux et talentueux et, s’ils ne viennent pas parfaire leurs études en France, ils vont le faire ailleurs. Où vont-ils, comment font-ils ?
Prenons par exemple l’Université Notre Dame (NDU), dans l’état de l’Indiana aux États-Unis. Le département de mathématiques compte 45 membres permanents et 50-55 étudiants en doctorat (en deça de la moyenne nationale aux USA, qui est d’environ 2 étudiants pour un permanent). NDU offre tous les ans 10-12 bourses d’une durée de 5 ans, des bourses qui sont de deux types. De 7 à 9 d’entre elles sont des bourses standard, correspondant au contingent des bourses allouées par l’Université au laboratoire de mathématiques et/ou parfois des grants 4Les grants représentent des financement complémentaires alloués aux chercheurs sur la base des concours de projets scientifiques. Les fonds ainsi obtenus peuvent être utilisés pour couvrir des frais de mobilité, comme les voyages et les séjours lors de conférences, visites scientifiques, financer des colloques, achats d’ordinateurs, de livres et du matériel didactique, salaires pendant les trois mois d’été supplémentaires (les salaires correspondent à neuf mois de travail par an) ainsi que une partie des bourses de doctorat. des membres du laboratoire, d’une valeur équivalente aux bourses MENRT en France. Il y a aussi les quelques 2-3 bourses exceptionnelles d’une valeur supérieure mais qui sont destinées uniquement aux résidents américains et qui sont mises en concurrences avec les autres départements de l’Université.
Les candidats proviennent du monde entier. Il suffit d’envoyer un dossier dûment rempli et quelques pièces standard attestant les études déjà accomplies, avec un CV, des lettres de motivation et des recommandations. Les candidatures sont traitées par une commission qui juge sur dossier les compétences scientifiques de chacun et s’appuient également sur les résultats des tests TOEFL 5Le Test Of English as a Foreign Language (TOEFL) est un test qui évalue la capacité des candidats non anglophones à utiliser et à comprendre l’anglais tel qu’il est parlé et écrit dans un contexte universitaire, voir ici concernant les aptitudes à parler l’anglais.
La première année les étudiants doivent suivre des cours fondamentaux et passer des examens, mais les plus avancés peuvent passer directement à des cours de niveau plus élevé. Ils auront deux examens (essentiellement l’algèbre et l’analyse de la licence) et ils auront le droit à trois essais. C’est très rare que les étudiants n’arrivent pas à être finalement reçus. Avant la fin de la première année l’étudiant devrait se trouver un « adviser » 6Mot pour mot la traduction est « conseiller ». En France on utilise couramment l’appellation « directeur de thèse » ou « directeur de la recherche », ce qui désigne la personne qui encadre les activités de recherche d’un thésards. Personnellement, je préfère l’image donnée par la terminologie anglo-saxone. pour guider ses premiers pas en recherche : il choisira un thème l’emmenant à lire quelques articles de recherche en maths suggérés par « l’adviser » et il présentera ces résultats devant une commission à la fin du premier semestre de la deuxième année. Les interrogations de la commission couvrent les domaines mathématiques ayant des relations avec le thème étudié. Ça rassemble beaucoup au stage de recherche et au mémoire de stage qu’on prépare chez nous en Master 2, mais le temps consacré est plus important. Ensuite il y aura d’autres cours avancés à suivre, mais l’essentiel du temps sera consacré à la these proprement dite. Pendant ce temps la grande majorité des étudiants aura aussi un certain nombre de charges d’enseignement, comparable au monitorat.
Les 5 années de formation correspondent au master 2 et au doctorat français. La qualité des recherches mathématiques françaises soutient la comparaison avec celles des universités américaines. Alors, pourquoi cet engouement pour les universités des États-Unis ?
A mon avis il y a quelques différences notables : les candidat(e)s du monde entier sont accepté(e)s, dans un grand esprit d’ouverture et d’égalité des chances, la composition du dossier de candidature est standard et claire pour tout le monde (par opposition au certains dossiers de candidatures devant lesquelles on passe son temps à comprendre ce qu’il faut remplir et comment), les décisions de la commission d’admission prévalent sur celles de l’administration et on sait même à quoi s’attendre aux examens des premières années, le cas échéant. Parlant d’examens, en voici quelque uns, pour tous les lecteurs qui veulent faire un essai ici
Et, peut-être plus important encore, une fois qu’on est accepté(e), on a la certitude d’obtenir un financement pour une période de 5 ans (sous condition de réussite aux examens), qui devrait être une des périodes la plus active et fertile dans sa vie professionnelle. Ces différences jouent un rôle important dans la décision à prendre. Les candidats choisissent donc un projet de carrière plutôt qu’une mobilité de quelques mois dans le cadre de leurs études. De ce point de vue ceux et celles qui préparent leur Master et Doctorat sont perçus par les instances administratives et scientifiques comme des chercheurs à part entière, ce qui n’est que justice.
Je ne suis pas convaincu que cette autre procédure de recrutement soit la meilleure possible, bien qu’elle soit plébiscitée par les candidats. D’ailleurs le déroulement ultérieur de la carrière, une fois le doctorat obtenu, montre que le système peut être impitoyable avec ceux qui les a formés par bien des égards. Pour laisser les chiffres parler, moins de 25% des doctorants de NDU arriveront à obtenir des positions post-doctorales dans des bonnes universités et feront encore de la recherche après leur thèse. Le reste de 75% seront amenés à accepter des emploi d’enseignants dans des collèges, lycées et écoles post-lycéales s’éloignant pour toujours du monde de la recherche. Cependant je crois que tôt ou tard on devra agir et envisager des solutions alternatives au système actuel de recrutement au niveau Master et Doctorat, en particulier pour assurer une meilleure ouverture à l’international.
Les données que j’ai utilisées m’ont été fournies par Liviu Nicolaescu de Notre Dame University que je tiens à remercier chaleureusement.
11h26
Deux remarques :
(1) pour les étudiants hors communauté européenne, il existe maintenant un certain nombre de Masters ERASMUS MUNDUS, qui fournissent un financement très convenable, et qui peuvent donc être très attractifs ; malheureusement, ce financement est au niveau Master et la difficulté de passer au doctorat reste présente
(voir par exemple http://www.math.u-bordeaux.fr/ALGANT/
pour le Master ALGANT en algèbre et géométrie, qui fonctionne en collaboration Bordeaux/Paris Sud/Padoue/Leiden).
(2) aux USA, même si de nombreux étudiants venant de passer une thèse ne poursuivent pas en post-doc pour continuer la recherche, je pense qu’en général beaucoup (peut-être la majorité) partent aussi dans « le privé » : leur thèse est beaucoup plus valorisée par les employeurs que ce n’est le cas en France. (C’était en tout cas mon expérience pour ce qui est des étudiant(e)s avec qui j’étais en Graduate School dans le New-Jersey.)