Des théorèmes en physique ?

Écrit par Annick Lesne
Publié le 12 juin 2009

Pour décrire le monde qui nous entoure et nous aider à le comprendre, la force des mathématiques est de remplacer les objets réels, physiques, par des objets idéaux. Par exemple, on idéalise le bord d’un objet rond — une assiette, une roue — par un cercle, ensemble des points à égale distance d’un centre (l’exemple est classique, il se trouve en particulier chez Husserl). Alors que deux ronds ne sont jamais exactement identiques, les cercles sont parfaits, rigides au sens où il suffit de trois points pour les définir. Un rond, toujours un peu irrégulier, ne serait précisément et entièrement décrit que par la donnée de tous ses points (c’est-à-dire par une quantité infinie d’information !).

C’est en partie dans cette idéalisation que se situe le passage de la physique aux mathématiques. Ce sont les cercles qui vérifient des théorèmes, par exemple les expressions de leur périmètre et de leur surface en fonction du rayon (elles ne sont valables qu’approximativement pour un rond). La question de la validité des théorèmes pour des ronds se ramène ainsi à celle de la validité de la représentation de ces ronds par des cercles. Dans le même ordre d’idées, les symétries seront celles de la représentation du système réel à une échelle donnée : un rond n’est pas invariant par rotation, c’est une propriété du cercle (et même une façon de définir cet objet idéal).

Un autre exemple typique est le « théorème H » rencontré en théorie cinétique des gaz. Pour un gaz hors d’équilibre isolé, ce théorème affirme qu’une certaine quantité H(t), définie comme une fonctionnelle de la distribution de probabilité de présence d’une particule dans l’espace des positions et des vitesses (et souvent assimilée, au signe près, à l’entropie du gaz) ne peut que décroître au cours du temps. Ce théorème est démontré en tant que tel comme une propriété de l’équation de Boltzmann décrivant l’évolution du gaz (plus précisément, décrivant l’évolution de la distribution de probabilité de présence d’une particule) 1On peut voir sur ce sujet l’article : « A propos de la description des gaz parfaits » de Laure Saint-Raymond. Mais cette équation est établie en invoquant une approximation de décorrélation assez forte : les molécules du gaz sont supposées ne garder aucune mémoire de leur histoire antérieure, en l’occurrence les collisions et interactions qu’elles ont subies avec les autres molécules. Le théorème n’est ainsi une propriété d’un gaz réel qu’approximativement, dans la mesure où ce gaz est correctement décrit par l’équation de Boltzmann. La confusion entre l’objet du théorème (une équation d’évolution) et la réalité (le gaz approximativement décrit par cette équation) est à l’origine de beaucoup des paradoxes et débats insolubles sur le Second Principe de la thermodynamique et l’irréversibilité.

La réalité physique n’est donc pas le royaume des théorèmes et des résultats exacts, au sens strict. C’est sans doute là une différence fondamentale entre mathématiques et physique théorique, par ailleurs si proches dans les notions et les méthodes employées.

ÉCRIT PAR

Annick Lesne

Directeur de recherche - CNRS - Sorbonne Université

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Par exemple, on pourra écrire que sont les deux solutions complexes de l’équation .

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